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on ne doit se fier qu’au miracle de l’illumination soudaine pour les arracher aux pratiques de leur superstition traditionnelle. C’est une lourde tâche que de ramener au bercail ces brebis noires ; mais la foi ne recule pas. Hâtons-nous d’ajouter qu’en inscrivant sur son drapeau la suppression de la traite des esclaves, la nouvelle mission d’Afrique, à laquelle la France et la Belgique, établies au Congo, prêteront évidemment leur concours, a pris le meilleur moyen pour s’insinuer au cœur de l’Afrique. L’esclavage, ou plutôt la guerre constamment entretenue pour enlever des nègres que l’on vend, est la plaie, incurable jusqu’ici, du continent africain. Dans les récits de tous les voyageurs, on lit que des villes, des vallées entières ont été d’un jour à l’autre abandonnées à l’approche de l’ennemi en chasse d’esclaves, ou que des populations ont été emmenées par les brigands de la traite. La religion chrétienne est dans son rôle en faisant la guerre à l’esclavage. La philanthropie l’a précédée. C’est la haine de l’esclavage, c’est la philanthropie qui a donné à l’Afrique l’un de ses plus célèbres pionniers, le docteur Livingstone. Les voyages successifs de Livingstone au milieu de l’Afrique, où maintes fois on l’avait cru perdu, les relations qu’il a écrites lui-même au jour le jour sur des feuillets informes et avec une simplicité si éloquente, le dénombrement de ces états africains dont l’existence n’était même pas soupçonnée, la description des mœurs et des coutumes, la mort, au lac Bemmba, du vieil explorateur qui avait traversé tant de sauvages sans porter d’autres armes que la croix et son bâton de pèlerin, voilà ce qui est bien fait pour nous intéresser et pour nous émouvoir. Livingstone est allé à la découverte des sources de la traite, comme d’autres sont partis à grands frais pour découvrir les sources du Nil. C’est lui qui le premier a instruit sur place le grand procès de l’esclavage africain et fourni à l’Europe les documens les plus complets sur le crime de la traite. Philanthrope avant d’être explorateur, il voyageait pour l’humanité.

Stanley, Cameron, Serpa-Pinto, représentent un autre type de voyageurs. Ce ne sont ni des missionnaires bénissant les populations, ni des trafiquans absorbés par les intérêts de leur négoce, comme il s’en rencontre quelques-uns venant soit de l’est, par Zanzibar, soit de la côte occidentale, par les possessions portugaises : ces derniers ne nous apprennent rien de l’Afrique ; ils ne publient pas plus leurs impressions que leurs inventaires, dont l’achat et la revente des esclaves forment peut-être l’article principal. Stanley a traversé l’Afrique de Zanzibar à l’embouchure du Congo ; Cameron, de Zanzibar à la côte de Benguela ; Serpa-Pinto, plus au sud, de l’Atlantique à l’Océan-Indien. Ils ont mené la campagne