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Page:Revue des Deux Mondes - 1889 - tome 93.djvu/943

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Au son strident et sinistre du trombite (cor des Carpathes), toute la bande sauvage accourut se rallier autour de ses chefs. Puis, à la suite d’un bref conseil, tous ces hommes, habitués à une obéissance aveugle, reconnurent pour leur reine et chef suprême la belle et rusée Matrina, et lui offrirent leurs hommages avec enthousiasme.


C’était par une belle matinée, peu de temps après la fuite de Matrina. Le mandatar, une serviette nouée autour du cou, la figure badigeonnée d’un savon mousseux, parfumé, était assis devant une glace, en train de se faire la barbe. Tout à coup il entendit une voix féminine l’appeler par son nom. Croyant reconnaître la voix de sa femme, il se leva, ouvrit la fenêtre et regarda dans la cour. Il n’eut pas plus tôt mis la tête dehors qu’il se sentit le cou pris par un nœud coulant que venait de lui jeter, à la manière des Cosaques, une belle jeune femme, vêtue d’une pelisse de peau d’agneau brodée, chaussée de bottes de maroquin et montée à cheval comme un homme. C’était la fugitive Matrina, qui se disposait à repartir en entraînant sa prise après elle. Pour ne pas être tout de suite étranglé, le pauvre mandatar dut sauter immédiatement par la fenêtre, tel qu’il se trouvait, la serviette au cou, et suivre le cheval de Matrina, qui s’éloigna au grand trot.

Tout cela avait été l’affaire d’un instant. Avant que Michalowski eût pu se remettre un peu de son saisissement, ils étaient déjà hors du village. Personne au château ne s’était aperçu de cet enlèvement grotesque. La première personne qui en fut informée, ce fut Mme Michalowska à qui des paysans vinrent dire : « Nous venons de voir Matrina passant à cheval, au grand trot, et monsieur le mandatar courant après elle comme un possédé. »

Zénobia, qui rentrait de promenade, s’arrêta et fit tourner bride à son cheval. Elle crut d’abord que son mari était devenu fou ; mais un gamin dit tout haut en riant : « Elle l’emmène au bout d’une corde comme un petit veau. » Mme Michalowska comprit alors ce qui venait de se passer ; mais quand elle songea à expédier ses domestiques à la poursuite de Matrina, il était trop tard ; celle-ci avait disparu avec son prisonnier dans la forêt ; là, elle approchait du refuge dont elle s’était fait un petit royaume. L’audacieuse amazone, se jugeant maintenant en sûreté, mit sa monture au pas. Ce fut alors seulement qu’elle vit d’une manière bien nette dans quel état ridicule l’infortuné mandatar l’avait suivie malgré lui, et elle éclata de rire follement.

— Matrina ! supplia le malheureux, que veux-tu faire de moi ? Est-ce que tu voudrais me tuer ? Je t’en conjure, épargne ma vie,