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qui pesait sur elle. Il fut décidé que le jeune Armand se destinerait aux armes. Il prit donc le nom de marquis de Chillou, ceignit l’épée et se fit inscrire à l’Académie : « Les marques d’une générosité singulière brillaient déjà sur son visage. »


Des mains du bon Yon, Armand du Plessis passa donc dans celles de M. de Pluvinel.

Antoine de Pluvinel, gentilhomme dauphinois, était le fondateur d’un genre d’établissement qui répondait parfaitement aux nécessités du temps et qui eut une très grande vogue dans tout le cours du XVIIe siècle : l’ Académie. Prenant les écoliers à la sortie du collège, M. de Pluvinel avait pour idéal d’en faire des hommes et surtout des soldats.

Il avait tout ce qu’il fallait pour réussir dans ce genre d’entreprises. Cavalier de grand mérite et de haute tenue, il avait acquis à la cour et dans les camps une longue expérience ; son assurance, quelque peu gasconne, ajoutait au prestige du mérite et de l’âge. Il avait beaucoup voyagé, vu le monde, les cours, s’était inspiré des exemples des maîtres italiens, avait visité la Hollande, cette autre école des gens de guerre. Comme le père de Richelieu, il avait accompagné Henri III en Allemagne, en Pologne et avait rempli, près de ce prince, les fonctions de premier écuyer. Henri IV devait lui confier bientôt le soin de l’éducation physique de Louis XIII.

Antoine de Pluvinel et le « manège » où s’exerçaient ses élèves vivent pour nous dans les admirables gravures de Crispian de Pas. Tout l’art de l’homme du monde, du cavalier et du courtisan est renfermé dans ces doctes et gracieuses leçons. Ce qu’on apprenait à l’Académie, ce n’était pas seulement les exercices du corps, l’éducation du cheval, le manège, l’escrime, la bague, la quintaine ; c’était la tenue, l’aptitude physique et intellectuelle, la promptitude de l’esprit et du corps, l’élégance, la bravoure et l’honneur. Le fidèle serviteur de Henri III et de Henri IV enseignait à la jeunesse qui se pressait autour de lui l’usage du monde, la façon de se présenter, de saluer, de s’expliquer d’un geste ou d’un sourire. Sa faconde méridionale abondait en traits instructifs, en belles reparties, en beaux exemples. Les jeunes gens les recueillaient de sa bouche, dans de jolies attitudes de page, le sourire aux lèvres, le poing sur la hanche.

Pluvinel aimait à citer ces excellens points des histoires qui ornent l’esprit et rehaussent le cœur. Il désignait aux jeunes gens les gentilshommes qu’ils devaient prendre pour modèles : les Hellegarde, les d’Epernon, les Bassompierre. Il soulignait leurs mérites d’un mot, ou, d’un sourire, leurs défauts. Il avait un avis sur la