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L’Angleterre qui, avec beaucoup de sens commun, se souciait fort peu de guerroyer contre les Chinois quand elle avait des insurrections à étouffer en Birmanie, a consenti à envoyer tous les dix ans, à Pékin, une lettre de félicitations que des présens accompagneront ; de plus, elle a promis de rappeler la mission commerciale qui devait parcourir le Thibet. Il lui a fallu sans doute de fortes raisons pour continuer l’envoi d’un tribut que la déposition du roi Thibô ne rendait plus obligatoire.

Mais ces raisons, on les conçoit bien vite lorsqu’on lit les correspondances qui, depuis trois ans, sont envoyées de Rangoun à Londres. On y voit que 25,000 hommes de troupes régulières sont stationnées en pays birman, et qu’un corps de police militaire, récemment créé, dépasse déjà 17,000 hommes. Les nouveaux occupans ne sont maîtres du dacoïtisme, c’est-à-dire des indigènes révoltés, qu’aux points que les troupes anglaises occupent en force, et là, elles sont surprises par des attaques soudaines. Des soldats de l’armée régulière de Chine, déguisés en dacoïts, y pratiquent, pour compte de leur gouvernement, la guerre à responsabilité limitée qu’ils faisaient à nous-mêmes sur le fleuve Rouge. C’est surtout au nord, dans les régions voisines du Yunnan et des états shans, que l’insoumission a pris un caractère des plus graves. Un gros détachement de gendarmerie y a été attaqué, enveloppé par l’ennemi et réduit à un cinquième de son effectif. D’autres rebelles, retranchés à Maulin, ont dû être canonnés : leurs positions ont été prises d’assaut, mais les Anglais y ont perdu plus d’un dixième d’un corps expéditionnaire, composé d’un détachement du régiment de Hampshire et du 17e d’infanterie de Bengale, soutenus par deux canons. Les tribus des Chan et des Karen du nord ne se rendent pas. Un de leurs chefs se livre à des razzias sans cesse renouvelées et toujours heureuses. L’un de ses derniers exploits a été de s’éclipser aux regards stupéfaits des gendarmes qui le poursuivaient pour lui reprendre cent cinquante éléphans, un butin pourtant difficile à dissimuler.

Reste la question financière ou celle des revenus de la conquête ; ils ont été trouvés inférieurs de plusieurs millions de roupies aux charges qu’impose l’occupation et que le trésor de l’Hindoustan doit couvrir. À ce point de vue, la situation ne compense pas, à beaucoup près, les sacrifices qu’il a fallu faire et qu’il faudra faire encore. A Rangoun, où se trouve une succursale de la banque du Bengale, le taux de l’escompte s’est élevé de 11 à 15 pour 100. L’argent, qui est le seul étalon monétaire de l’Inde, fait à tel point défaut, qu’on a toutes les peines du monde à satisfaire à la solde des troupes. Il y a bien une circulation fiduciaire de billets de banque,