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traditions. Elles peuvent en venir aux mains, — l’histoire a déjà vu des fratricides, — elles n’en seront pas moins sœurs. Qu’y a-t-il donc entre elles ? D’où ce courant de méfiance qui les envahit peu à peu ? Hélas ! il y a ce qu’il est le plus difficile peut-être d’écarter, parce que rien de plus malaisé à saisir : des préventions, des malentendus, des susceptibilités, des affections déçues, des sentimens froissés.


I

Entre la France et l’Italie, il y a d’abord, l’amour-propre national. C’est là, en réalité, le point de départ de leurs divisions ; de là est venue leur mésintelligence. La légèreté française a blessé la juste fierté italienne ; tort grave, car l’amour-propre national est ce qu’il y a de plus sensible chez un peuple, et aussi, ce qu’il y a de plus respectable. Pour les patriotes, il s’identifie avec le patriotisme et l’honneur du pays natal. La faute de la France, faute involontaire, souvent même inconsciente, a été de froisser l’orgueil péninsulaire. Alors même que la France la traitait en sœur, l’Italie se trouvait traitée en cadette. Le rôle d’aîné est parfois délicat ; nulle part plus que de peuple à peuple. Un député lombard qui n’est pas le premier venu, M. Bonfadini, en a fait l’aveu : à la racine de tous les griefs de l’Italie contre nous est la vanité française trop peu soucieuse de la dignité d’autrui[1]. Les questions d’amour-propre tiennent autant de place dans la vie des nations que dans celle des individus. On l’oublie trop dans nos chambres ou dans nos bureaux de rédaction. Cela est surtout vrai d’un pays neuf comme l’Italie ; d’un pays qui, en dépit de toutes ses gloires et de sa noblesse de vingt siècles, est, comme état, un parvenu. Il est d’autant plus susceptible, il tient d’autant plus aux égards qu’il a été plus longtemps foulé aux pieds. Si l’Italie a tout sacrifié à l’unité, n’est-ce pas pour avoir le droit de marcher la tête haute parmi les nations ?

Sous ce rapport, la presse française a fait beaucoup de mal à la France, d’autant que les Italiens, comme la plupart des étrangers, ne lisent guère que les plus frivoles de nos journaux, ceux qui, pour un bon mot, nous aliéneraient le meilleur de nos amis. La presse italienne n’est pas demeurée en reste avec les feuilles du boulevard. Les polémiques de journaux ont pris un ton d’aigreur peu fait pour faciliter les relations des cabinets. La presse des deux pays a trop souvent ressemblé à deux roquets qui, du haut des cols des Alpes, aboieraient de loin l’un contre l’autre. Si le

  1. Bonfadini, la France et l’Italie en 1888.