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M. de Bismarck. Plus le chancelier faisait d’avances à la curie, plus l’Italie se rapprochait de la Prusse. Nous l’avons dit : à suivre les faits, on pourrait croire que, si l’Italie s’est alliée à l’Allemagne pour obtenir la garantie de Rome, c’est contre Berlin même et les surprises de la politique prussienne qu’elle s’est assurée. Que de cris au-delà des Alpes, pourtant, si le gouvernement ou la presse officieuse de la république se fussent permis, vis-à-vis du successeur de Pie IX, la moitié de ce que nos voisins ont bénévolement passé au tout-puissant kamzler !

« Rome capitale n’a-t-elle rien à redouter du parti au pouvoir en France, la France est changeante, insinuent nombre d’Italiens. Les républicains peuvent être battus, et les conservateurs profiteraient de leur victoire pour mettre l’armée française aux genoux du pape. » A les en croire, M. Thiers et le maréchal Mac-Mahon y ont déjà pensé. Pourquoi pas M. Grévy ? On ne sait pas assez quelles légendes ont cours à cet égard, et ce qu’il y a de plus triste, c’est que les fables inventées ou colportées par les adversaires de la France ont parfois pris naissance en France même. Ne m’a-t-on pas affirmé, comme un fait positif, que, en 1877, le maréchal Mac-Mahon préparait une intervention pour rétablir le pouvoir temporel du pape ? M. Crispi, passant alors par Paris, avant d’aller voir M. de Bismarck, aurait entendu Gambetta lui confier ses appréhensions au sujet d’une expédition romaine. Hélas ! il n’est pas impossible que Gambetta ou son entourage aient tenu pareil langage à leur ami sicilien. La gauche, en semblable matière, ne s’est pas toujours montrée très scrupuleuse ; plus d’une fois, dans ses polémiques électorales, elle s’est permis de jouer de l’étranger. Oh ! la vilaine besogne que cette guerre de partis où l’on se lance, des deux côtés, des traits empoisonnés, sans souci de ceux qui risquent d’atteindre la France ! C’était après le 16 mai 1877. Pour les 363, « le cléricalisme était l’ennemi. » Le spectre noir était leur grande machine de guerre contre ce qu’ils se plaisaient à nommer le gouvernement des curés, sûrs, par là, d’exciter la réprobation du pays. Attribuer à un parti l’intention de guerreyer pour le pape, c’était un procédé certain de le discréditer auprès du suffrage universel. Cela vaut l’accusation de vouloir rétablir la dîme et la corvée, que nos radicaux oui soin de rééditer à chaque élection. C’est une de ces armes calomnieuses forgées par la mauvaise foi des partis. Les Italiens pourraient aussi bien admettre que les conservateurs français travaillent au rétablissement de l’ancien régime. M. Crispi, paraît-il, a cru, sur la foi de Gambetta, à cette intervention en faveur du pape, et, pour prévenir ces ténébreux projets, il s’est hâté de rendre visite à M. de Bismarck, après avoir serré la main du chef de l’opportunisme. Des esprits moins prévenus eussent été moins crédules. Ils