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m’accorder avec toi et que mon dessein est de ne pas te quitter que nous n’ayons les mêmes sentimens. Qui m’inspirera des discours embrasés pour que tu fondes comme la cire à mon souffle, ô femme, et que les doigts de mes désirs puissent te modeler à leur gré ? Quelle vertu te livrera à moi, ô la plus chère des âmes, afin que l’esprit qui m’anime, te créant une seconde fois, t’imprime une beauté nouvelle et que tu t’écries en pleurant de joie : « C’est seulement d’aujourd’hui que je suis née ! » Qui fera jaillir de mon cœur une fontaine de Siloé dans laquelle tu retrouves, en te baignant, ta pureté première ? Qui me changera en un Jourdain dont les ondes, répandues sur toi, te donnent la vie éternelle ?

Thaïs n’était plus irritée.

— Cet homme, pensait-elle, parle de vie éternelle et tout ce qu’il dit semble écrit sur un talisman. Nul doute que ce ne soit un mage et qu’il n’ait des secrets contre la vieillesse et la mort.

Et elle résolut de s’offrir à lui. C’est pourquoi, feignant de le craindre, elle s’éloigna de quelques pas, et, gagnant le fond de la grotte, elle s’assit au bord du lit, ramena avec art sa tunique sur sa poitrine, puis immobile, muette, les paupières baissées, elle attendit. Ses longs cils faisaient une ombre douce sur ses joues. Toute son attitude exprimait la pudeur ; ses pieds nus se balançaient mollement et elle ressemblait à une enfant qui songe, assise au bord d’une rivière.

Mais Paphnuce la regardait et ne bougeait pas. Ses pieds tremblans ne le portaient plus ; sa langue s’était subitement desséchée dans sa bouche ; un tumulte effrayant s’élevait dans sa tête. Tout à coup son regard se voila et il ne vit plus devant lui qu’un nuage épais. Il pensa que la main de Jésus s’était posée sur ses yeux pour lui cacher cette femme. Rassuré par un tel secours, raffermi, fortifié, il dit avec une gravité digne d’un ancien du désert :

— Si tu te livres à moi, crois-tu donc être cachée à Dieu ?

Elle secoua la tête.

— Dieu ! Qui le force à toujours avoir l’œil sur la grotte des Nymphes ? Qu’il se retire si nous l’offensons. Mais pourquoi l’offenserions-nous ? Puisqu’il nous a créés, il ne peut être ni fâché ni surpris de nous voir tels qu’il nous a faits et agissant selon la nature qu’il nous a donnée. On parle beaucoup trop pour lui et on lui prête bien souvent des idées qu’il n’a jamais eues. Toi-même, étranger, connais-tu bien son véritable caractère ? Qui es-tu pour me parler en son nom ?

À cette question, le moine, entr’ouvrant sa robe d’emprunt, montra son cilice et dit :

— Je suis Paphnuce, abbé d’Antinoé, et je viens du saint désert.