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Page:Revue des Deux Mondes - 1889 - tome 94.djvu/362

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arracha avec dégoût sa robe somptueuse et en foula les lambeaux sous ses pieds.

— Tu les as entendus, ma Thaïs, s’écria-t-il. Ils ont craché toutes les folies et toutes les abominations. Ils ont traîné le divin créateur de toutes choses aux gémonies des démons de l’enfer, nié impudemment le bien et le mal, blasphémé Jésus et vanté Judas. Et le plus infâme de tous, le chacal des ténèbres, la bête puante, l’arien plein de corruption et de mort, a ouvert la bouche comme un sépulcre. Ma Thaïs, tu les as vues ramper vers toi, ces limaces immondes, et te souiller de leur sueur gluante ; tu les as vues, ces brutes endormies sous les talons des esclaves ; tu les as vues, ces bêtes accouplées sur les tapis souillés de leurs vomissemens ; tu l’as vu, ce vieillard insensé, répandre un sang plus vil que le vin répandu dans la débauche et se jeter au sortir de l’orgie à la face du Christ inattendu ! Louanges à Dieu ! Tu as regardé l’erreur et tu as connu qu’elle était hideuse. Thaïs, Thaïs, Thaïs, rappelle-toi les folies de ces philosophes et dis si tu veux délirer avec eux. Rappelle-toi les regards, les gestes, les rires de leurs dignes compagnes, ces deux guenons lascives et malicieuses, et dis si tu veux rester semblable à elles !

Thaïs, le cœur soulevé des dégoûts de cette nuit et ressentant l’indifférence et la brutalité des hommes, la méchanceté des femmes, le poids des heures, soupirait :

— Je suis fatiguée à mourir ! ô mon père ! Où trouver le repos ? Je me sens le front brûlant, la tête vide et les bras si las que je n’aurais pas la force de saisir le bonheur si l’on venait le tendre à portée de ma main.

Paphnuce la regardait avec bonté :

— Courage, ô ma sœur : l’heure du repos se lève pour toi, blanche et pure comme ces vapeurs que tu vois monter des jardins et des eaux.

Ils approchaient de la maison de Thaïs et voyaient déjà, au-dessus du mur, les têtes des platanes et des térébinthes qui entouraient la grotte des nymphes frissonner dans la rosée aux souffles du matin. Une place publique était devant eux, déserte, entourée de stèles et de statues votives, et portant à ses extrémités des bancs de marbre en hémicycle, que soutenaient des chimères. Thaïs se laissa tomber sur un de ces bancs. Puis, élevant vers le moine un regard anxieux, elle demanda :

— Que faut-il faire ?

— Il faut, répondit le moine, suivre Celui qui est venu te chercher. Il te détache du siècle comme le vendangeur cueille la grappe qui pourrirait sur l’arbre et la porte au pressoir pour la