des disputes, ils excitaient ces misérables comme on fait des chiens qui se battent. Un cul-de-jatte ayant réussi à saisir une drachme, des acclamations s’élevèrent jusqu’aux nues. Les jeunes hommes se mirent eux-mêmes à jeter des pièces de monnaie, et l’on ne Tit plus sur toute la place qu’une infinité de dos qui, sous une pluie d’airain, s’entre-choquaient comme les lames d’une mer démontée. Paphnuce était oublié.
Nicias courut à lui, le couvrit de son manteau et l’entraîna avec Thaïs dans des ruelles où ils ne furent pas poursuivis. Ils coururent quelque temps en silence, puis, se jugeant hors d’atteinte, ils ralentirent le pas et Nicias dit d’un ton de raillerie un peu triste :
— C’est donc fait ! Pluton ravit Proserpine, et Thaïs veut suivre loin de nous mon farouche ami.
— Il est vrai, Nicias. répondit Thaïs, je suis fatiguée de vivre avec des hommes comme toi, sourians, parfumés, bienveillans, égoïstes. Je suis lasse de tout ce que je connais et je vais chercher l’inconnu. J’ai éprouvé que la joie n’était pas la joie et voici que cet homme m’enseigne qu’en la douleur est la véritable joie. Je le crois, car il possède la vérité.
— Et moi, âme amie, reprit Nicias en souriant, je possède les vérités. Il n’en a qu’une ; je les ai toutes. Je suis plus riche que lui, et n’en suis, à vrai dire, ni plus fier ni plus heureux.
Et voyant que le moine lui jetait des regards flamboyans :
— Cher Paphnuce, ne crois pas que je te trouve extrêmement ridicule, ni même tout à fait déraisonnable. Et si je compare ma vie à la tienne, je ne saurais dire laquelle est préférable en soi. Je vais tout à l’heure prendre le bain que Crobyle et Myrtale m’auront préparé, je mangerai l’aile d’un faisan du Phase, puis je lirai, pour la centième fois, quelque fable d’Apulée ou quelque traité de Porphyre. Toi, tu regagneras ta cellule où, t’agenouillant comme un chameau docile, tu rumineras je ne sais quelles formules d’incantation depuis longtemps mâchées et remâchées, et, le soir, tu avaleras des raves sans huile. Eh bien ! très cher, en accomplissant ces actes, dissemblables quant aux apparences, nous obéirons tous deux au même sentiment, seul mobile de toutes les actions humaines ; nous rechercherons tous deux notre volupté et nous nous proposerons une fin commune : le bonheur, l’impossible bonheur ! J’aurais donc mauvaise grâce à te donner tort, chère tête, si je me donne raison. Et toi, ma Thaïs, va et réjouis-toi, sois plus heureuse encore, s’il est possible, dans l’abstinence et dans l’austérité que tu ne l’as été dans la richesse et dans le plaisir. A tout prendre, je te proclame digne d’envie. Car si, dans toute notre existence, obéissant à notre nature, nous n’avons, Paphnuce et