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tout à l’heure : séance imposante par le caractère élevé du programme que l’orateur avait à développer, par le nombre des assistans et par la majesté du lieu où ils étaient réunis, en fin et surtout par la valeur personnelle et l’indépendance de ces hommes, — savans, littérateurs ou artistes, — auxquels, suivant la fière parole de Daunou, le gouvernement u avait le droit de demander des travaux sans avoir le pouvoir de leur commander des opinions. » Et Daunou ajoutait, pour achever de définir le rôle assigné à ses confrères et pour expliquer la fermeté studieuse de leur zèle au lendemain des terribles commotions politiques que le pays avait subies : « Nous gardons l’émotion de la bataille avec cette espèce d’héroïsme sauvage qu’elle fait naître dans les âmes ; et, maintenant, en pleine possession de la liberté, la république nous appelle pour rassembler et raccorder toutes les branches de l’instruction, reculer les limites des connaissances, en rendre les élémens moins obscurs et plus accessibles, provoquer les efforts des talens, récompenser leurs succès, recevoir, renvoyer, répandre toutes les lumières de la pensée, tous les trésors du génie. Tels sont les devoirs que la loi impose à l’Institut. » Enfin, l’organisation intérieure de l’Institut et les motifs qui l’avaient déterminée étaient ainsi exposés dans ce grave et substantiel discours : « En divisant l’Institut national en classes et en sections particulières, on n’a pas prétendu offrir un système rigoureusement analytique de toutes les connaissances humaines, mais seulement réunir d’une manière plus spéciale les hommes qui, dans l’état présent des sciences et des arts, ayant un plus grand nombre d’idées et de méthodes communes, parlant en quelque sorte la même langue, peuvent avoir entre eux des communications plus habituelles et plus immédiatement utiles. L’Institut n’en conserve pas moins l’unité qui le caractérise ; ce sont ses travaux qui sont divisés plutôt que ses membres, et cette répartition qui distribue et ne sépare pas, qui ordonne tout et n’isole rien, n’est qu’un principe d’harmonie et un moyen d’activité. »

Étrange contraste, d’ailleurs ! La salle du Louvre où cette fête si pleine de promesses réunissait, le 4 avril 1790[1], l’élite de la nation avait été, dans les deux siècles précédens, le théâtre de quelques-unes des scènes les plus lugubres de notre histoire. C’était dans cette même salle des Cariatides que, presque au lendemain du jour où elle y avait rassemblé la cour pour célébrer les noces de sa

  1. Cette première séance publique de l’Institut eut lieu le jour même et presque immédiatement après l’heure où le projet de règlement mentionné ci-dessus avait été définitivement approuvé par le Conseil des anciens.