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frémis plus : je pourrais subir le martyre pour ma religion. — L’amour est ma religion, — je pourrais mourir pour cela, — je pourrais mourir pour vous. Ma foi est l’amour, et vous en êtes le seul article… Mon amour est égoïste. Je ne puis respirer sans vous. » Si l’on veut bien considérer que toutes ces lettres sont de ce ton et qu’il n’y est guère question d’autre chose, on conviendra que l’amour de Keats pour Fanny a dû être comme un bouleversement de sa vie morale.

Mais cette révolution, qui devait finir par le tuer ou tout au moins par hâter sa mort, semble lui avoir été d’abord bienfaisante. Elle l’a ramené au sentiment plus vrai de la passion. Elle l’a excité à produire. Elle a ouvert des sources nouvelles à son génie. Elle a stimulé et activé le mouvement poétique commencé au lendemain de l’achèvement d’Endymion. Aucune période de sa vie n’a été plus féconde que les premiers temps de sa liaison avec Fanny Brawne.

Tous les poèmes composés dans la seconde période poétique de Keats, à laquelle nous arrivons maintenant, ont tout au moins un caractère commun, qui est la perfection de la forme et ce qu’on pourrait appeler le fini dans le travail de l’imagination. De plus en plus la poésie devient grecque par le sentiment de l’ordre et par la sobriété de la conception : il y a d’Endymion à Hypérion la même distance qui sépare les passages les moins heureux et les plus touffus de Spenser, des pages les plus achevées de Comus ou de Sanson Agonistes.

Trois auteurs principaux et bien différens entre eux semblent avoir surtout contribué à, cette évolution de la forme poétique : Homère, Milton et Boccace.

L’Homère de Chapman, — un Homère un peu plus redondant et plus romantique que le vrai, mais majestueux encore et vraiment épique, — était l’une des plus anciennes admirations de Keats. La plus connue peut-être de toutes ses pièces, celle qui figure dans toutes les anthologies, est le fameux sonnet « sur une première lecture de l’Homère de Chapman », qui date de 1816 : « Alors, dit le poète (faisant allusion à l’impression qu’il reçut de cette lecture), je fus comme un observateur des cieux, quand une planète nouvelle vogue dans le champ de son regard ; ou comme l’intrépide Cortez, quand avec des yeux d’aigle il contemplait le Pacifique, et que tous ses hommes se regardaient avec un étrange soupçon, — silencieux, sur un pic du Darien. » Cette influence d’Homère, amoindrie sans doute par celle de Spenser pendant qu’il écrivait Endymion, semble avoir repris toute sa force dès le commencement de 1818. Keats, à ce moment, songeait à