et sans innovations. Les Français, placés dans un local qui offrait des conditions d’installation moins favorables, ont révolutionné les appareils ; ils les ont allégés et modifiés ; ils ont dû inventer des perfectionnemens de la méthode, pour que la lumière agît sur les filets d’eau déversés par les figures du groupe. Au dernier moment, ils étaient en retard, aux prises avec les fontainiers. Les Anglais disaient : « Il est impossible que vous soyez prêts et que vous réussissiez par ces moyens. » L’ingénieur répondait : « Impossible n’est pas français. » Le jour de l’inauguration, on improvisa ce qui manquait, on accrocha les fils au clavier de manœuvre du contre-maître anglais, on lui tira sa pensée, et le soir, à l’heure dite, les eaux françaises s’étaient débrouillées, elles jaillissaient à l’unisson des étrangères.
Je les regardais au fond de leur souterrain, ces braves ouvriers, faisant les apprêts de la féerie dans la chaleur et dans les ténèbres. Comme leurs frères de la mine de houille, bien qu’avec moins de peine, ils allaient extraire pour les autres hommes de la lumière et de la joie qu’ils ne verraient pas. Un timbre retentit, des chiffres passèrent, au tableau d’ordre ; dans les réflecteurs en entonnoirs, des rayons aveuglans s’allumèrent, aussitôt ravis dans les cheminées par les miroirs inclinés qui les renvoyaient aux orifices, Des plaques de verre bleu, rouge, jaune, glissaient sur nos têtes ; on se serait cru dans le four central du globe, où les Kobolds élaborent les pierres précieuses et fondent les cristaux. Ils se précipitèrent sur les leviers, les bons gnomes du service des eaux de la ville, et leur poussée fit jaillir là-haut l’éruption de saphirs, de grenats et de topazes. On éprouve là des tentations horribles de toucher à contre-temps un de ces leviers : on déroberait ainsi, par un subterfuge purement mécanique, la juste toute-puissance de l’artiste et du poète ; on ordonnerait pendant une seconde les sentimens d’une multitude humaine. Car d’habiles gens nous certifient que les raies du spectre déterminent nos humeurs ; le violet attriste, disent-ils, comme le rose égaie. D’où il suit qu’en poussant un de ces ressorts, on accomplirait cette opération divine, réjouir les cœurs des hommes, ou ce maléfice diabolique, les plonger dans le chagrin.
En sortant du souterrain, nous nous rendîmes à la tourelle des commandemens. Le magicien anglais les donne sur une table qui rappelle de très près un piano, avec ses deux claviers. Une ligne de boutons électriques, correspondant, à la gamme des verres colorés : ce sont les touches blanches ; derrière, un rang de leviers, correspondant aux robinets des jets d’eau ; ce sont les touches noires. Le système actuel, qui nécessite la transmission des ordres