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distingue donc un Premier Isaïe[1] et un Second Isaïe. C’est du Premier Isaïe seulement que je vais parler.

Isaïe est le nom d’un prophète du VIIIe siècle avant notre ère. Il figure dans le livre I des Rois (XVI, 19 et 20), sous le règne d’Ezéchias. Et le livre prophétique qui porte ce nom se donne, dans un court préambule, comme contenant en effet les prophéties qu’Isaïe a fait entendre sous le règne des rois de Juda Osias, Jonathan, Achaz et Ezéchias, c’est-à-dire pendant à peu près toute la durée du VIIIe siècle.

Il faut dire tout de suite que ce témoignage, par lui-même, n’a aucune valeur. J’ai rappelé déjà que les Psaumes ont été longtemps attribués à David, et un très grand nombre de psaumes portent en effet des préambules qui, non-seulement les donnent comme étant de ce roi, c’est-à-dire du XIe siècle avant notre ère, mais encore les rapportent à telle ou telle circonstance particulière de la vie de ce roi, et cela avec un tel mépris de toute vraisemblance, qu’il a été impossible d’accepter ces indications, et qu’on a fait descendre ces écrits jusqu’au temps des Asmonées.

Ainsi, je n’ai à tenir aucun compte ni du préambule d’Isaïe, ni en général de ceux des livres prophétiques, et je dois considérer ces livres comme des écrits sur lesquels on ne possède aucun renseignement antérieur, et dont on ne peut préjuger la date que seulement par ce qu’ils contiennent. J’aborde maintenant directement Isaïe.


Dès le début du chapitre Ier, le prophète, ou plutôt le poète, nous peint le pays comme désolé, ses villes en feu, ses champs ravagés, Sion dans la détresse, pareille à la cabane du gardien dans un vignoble. Elle n’a conservé des siens qu’un faible reste, sans lesquels elle serait comme Sodome et Gomorrhe. On ne trouve dans l’histoire de Jérusalem rien de semblable jusqu’à la destruction de la ville et du royaume de Juda par Nabuchodonosor. Faudra-t-il descendre jusque-là ? Mais si on le fait, le livre ne sera plus d’Isaïe. Car le principe rationaliste, qui s’impose maintenant à toute critique, et qui exclut tout surnaturel, ne permet pas de croire qu’un prophète ait annoncé cette catastrophe à deux cents ans de distance. D’ailleurs ces tableaux, qui sont trop forts pour les temps antérieurs, seraient trop faibles, au contraire, pour peindre la ruine dernière, et ne sauraient la représenter. On ne trouvera pas d’époque à laquelle ils s’appliquent mieux que celle de la guerre contre les rois de Syrie, où Jérusalem a passé par de

  1. Je mets ces noms en italiques, ne croyant pas que ce soient les noms véritables.