qu’elles peuvent être adorées. Tu ne te contentes pas de leur offrir le sang d’une bête, tu te sacrifies toi-même en leur honneur ; tu leur immoles ton génie ; tu leur verses tes sueurs en libation. Au lieu d’encens, tu leur fais hommage de ton art. Tu es plus qu’un prêtre pour elles, puisque c’est par loi qu’elles ont des prêtres ; c’est ton talent qui en fait des dieux. » Rien d’abord ne semble plus naturel que cette défense ; mais, quand on regarde de près, on voit qu’elle va plus loin qu’il ne paraît, et que, si on la pousse à l’extrême, elle peut avoir les plus graves résultats. Depuis si longtemps que régnait l’idolâtrie, l’Olympe semblait être devenu le pays naturel des imaginations. Les scènes de la mythologie alimentaient la peinture comme la poésie ; les statues des dieux et des déesses, en marbre, en bronze, en terre cuite, remplissaient les maisons aussi bien que les temples. Défendre aux sculpteurs et aux peintres de les reproduire était tarir la source de leurs inspirations ordinaires et proscrire les arts. L’église semblait avoir reculé devant cette conséquence rigoureuse. Dans la peinture décorative, où les représentations ont moins d’importance, elle permettait qu’il se glissât quelques figures qui vinssent en droite ligne de la vieille mythologie. Sur les voûtes mêmes des catacombes, dans les lieux les plus saints, on trouve parfois des génies ailés, portant des flambeaux et des couronnes, à côté des graves Orantes ou de Jonas sous son arbre. Nous ne voyons pas que les artistes qui peignaient ces images profanes soient, dans la communauté chrétienne, plus mal notés que les autres, et Tertullien nous dit même qu’il y eut de ces faiseurs d’idoles qu’on éleva aux honneurs ecclésiastiques. Une pareille faiblesse l’indigne ; et, loin de tremper dans ces complaisances, il se plait à jeter une sorte de défi à cette société où le goût des arts était resté si vif. Pendant qu’elle cherche à faire ses dieux les plus beaux possibles. il éprouve une joie insolente à soutenir que Jésus-Christ était laid. Il n’est pas éloigné de vouloir qu’on s’en tienne aux prescriptions du Deutéronome qui défend absolument qu’on reproduise la figure des hommes et des animaux ; si les artistes réclament, il se moque d’eux et entreprend de leur prouver qu’ils ne sont pas tant à plaindre. Ne peuvent-ils pas employer leur talent à d’autres usages ? Celui qui travaille le bois, « au lieu de faire sortir le dieu Mars d’un tilleul, » en tirera des armoires et des coffres ; ceux qui travaillent les métaux feront des plats et des marmites. Ils ne risquent pas au moins de manquer d’ouvrage : on a plus souvent besoin dans le monde de marmites que de dieux. — Ces plaisanteries nous font bien connaître que l’intérêt des arts était le moindre de ses soucis.
Après avoir ainsi condamné les fabricans d’idoles, Tertullien