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jeunesse. La moustache, relevée gaîment « à la soldade » et la royale, taillée en pointe, affinent tôt allongent encore cette figure triangulaire qui s’aiguise et luit dans l’éclair d’un regard court, vif, tranchant.

Cet œil parle ; c’est lui qui explique et unit dans une même intensité de vie et d’action ce qu’il peut y avoir de contradictoire dans ce grand corps à la fois anguleux et souple, sur ce visage froid et vif, sur cette physionomie dure et souriante. Il y a, dans cet œil, la clarté, la sûreté du regard poitevin. Parfois pourtant la paupière tombe, et l’œil se voile des ombres épaisses qu’amasse le repliement de la réflexion intérieure. Un sourire l’égaie, une larme le mouille, avec une mobilité nerveuse, tout d’abord sincère, plus tard calculée et voulue.

Pour le moment, vêtu de la robe violette, coiffé du bonnet carré, portant le large col blanc qui convient à la pâleur de son teint, la main en avant, très grande et très fine, jeune, prompt, fébrile, l’évêque de Luçon s’avance, dans la foule des inconnus, du pas ferme d’un homme qui se sent parti pour les longs chemins.

Il est fier de sa noblesse, des services rendus par ses aïeux, par son père. Leur souvenir n’est pas totalement perdu ; il saura le faire revivre. Les grandes alliances, les amitiés ne lui manquent pas. Son père, le grand-prévôt, a laissé plus d’un compagnon d’armes parmi les hommes qui entourent la régente. Son frère a déjà renoué les fils de ces anciennes relations.

Du côté de sa mère, il est vrai, les alliances sont moins illustres. On ne s’en vante pas. Mais on ne dédaigne pas leur utilité. Les Bouthillier, personnages insinuans, amis des La Porte, fréquentent dans le monde parlementaire. Ce sont de ces gens qui se glissent par les passages secrets, alors que les grandes portes sont closes. L’évêque-député les met au service de sa fortune. Il a ainsi un pied dans les deux mondes, celui de la noblesse et celui de la haute bourgeoisie.

Ce n’est pas seulement qu’il se mêle à l’un ou à l’autre de ces deux mondes ; il les résume, pour ainsi dire, en sa personne. Fils d’une race de soldats, il est homme d’action ; petit-fils d’un avocat célèbre, il a le sens des lois, des affaires et de la pratique ; prêtre, évêque, il cache, sous sa robe, les doubles ambitions et les doubles facultés qui lui viennent de cette double origine.

Trois classes, clergé, noblesse et tiers-état, divisent alors la nation française. Richelieu prend quelque chose à chacune d’elles ; il se trouve, si je puis dire, placé exactement à leur point d’intersection. Sa carrière est la résultante de leur action historique.

Le hasard l’a fait naître à Paris, dans les dernières années, si