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Page:Revue des Deux Mondes - 1889 - tome 94.djvu/629

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chaque nuit la joueuse de théorbe quittait la muraille, s’approchait et parlait d’une voix claire mêlée de souilles frais. Et, comme le saint homme résistait aux tentations qu’elle lui donnait, elle lui dit ceci :

— Aime-moi ; cède, ami. Tant que tu me résisteras, je te tourmenterai. Tu ne sais pas ce que c’est que la patience d’une morte. J’attendrai, s’il le faut, que tu sois mort. Étant magicienne, je saurai faire entrer dans ton corps sans vie un esprit qui l’animera de nouveau et qui ne me refusera pas ce que je t’aurai demandé en vain. Et songe, Paphnuce, à l’étrangeté de ta situation, quand ton âme bienheureuse verra du haut du ciel son propre corps se livrer au péché. Dieu, qui a promis de te rendre ce corps après le jugement dernier et la consommation des siècles, sera lui-même fort embarrassé. Comment pourra-t-il installer dans la gloire céleste une forme humaine habitée par un diable et gardée par une sorcière ? Tu n’as pas songé à cette difficulté. Dieu non plus, peut-être. Entre nous, il n’est pas bien subtil. La plus simple magicienne le trompe aisément, et, s’il n’avait ni son tonnerre, ni les cataractes du ciel, les marmots des villages lui tireraient la barbe. Certes, il n’a pas autant d’esprit que le vieux serpent, son adversaire. Celui-là est un merveilleux artiste. Je ne suis si belle que parce qu’il a travaillé à ma parure. C’est lui qui m’a enseigné à natter mes cheveux et à me faire des doigts de rose et des ongles d’agate. Tu l’as trop méconnu. Quand tu es venu te loger dans ce tombeau, tu as chassé du pied les serpens qui y habitaient, sans t’inquiéter de savoir s’ils étaient de sa famille, et tu as écrasé leurs œufs. Je crains, mon pauvre ami, que tu ne te sois mis une méchante affaire sur les bras. On t’avait pourtant averti qu’il était musicien et amoureux. Qu’as-tu fait ? Te voilà brouillé avec la science et la beauté. Tu es tout à fait misérable, et Iaveh ne vient point à ton secours. Il n’est pas probable qu’il vienne. Étant aussi grand que tout, il ne peut bouger, faute d’espace, et si, par impossible, il faisait le moindre mouvement, toute la création serait bousculée. Mon bel ermite, donne-moi un baiser.

Paphnuce n’ignorait pas les prodiges opérés par les arts magiques. Il songeait, dans sa grande inquiétude :

Peut-être le mort enseveli à mes pieds sait-il les paroles écrites dans ce livre mystérieux, qui demeure caché non loin d’ici au fond d’une tombe royale. Par la vertu de ces paroles, les morts, reprenant la forme qu’ils avaient sur la terre, voient la lumière du soleil et le sourire des femmes.

Sa peur était que la joueuse de théorbe et le mort pussent se