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Page:Revue des Deux Mondes - 1889 - tome 94.djvu/645

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jamais convaincu de la vérité de ce mot de Lally-Tollendal, rapporteur du comité de la constitution en 1789 : « Avec une seule chambre vous pourrez tout détruire, sans les deux chambres vous ne pourrez rien fonder. » Tel projet de loi destiné à favoriser l’un ou l’autre intérêt particulier sera rejeté par le sénat, parce que les mêmes influences n’y dominent pas et aussi parce que l’une des doux assemblées se plaît souvent à tenir l’autre en échec. Cette opposition a toujours un excellent résultat, disent les Américains : elle empêche l’adoption d’un grand nombre de bills, et c’est autant de gagné, car « en fait de lois, comme en fait de vermine, plus on en tue, mieux cela vaut. »

Le veto que possède le gouverneur dans 34 états sur les 38 est aussi un moyen de préservation contre l’activité législative des chambres, car ce n’est point là, comme en Europe, une arme rouillée et vaine, dont un souverain ne peut faire usage sans risquer sa popularité, son trône ou même sa vie. Dans un article de la Revue[1], M. le duc de Noailles a montré l’importance de cette prérogative aux mains du président de la Fédération. Les gouverneurs y ont recours tout aussi souvent que lui, car assez fréquemment ils appartiennent à un autre parti que celui qui domine dans les chambres, et leur responsabilité étant plus grande, ils se laissent guider davantage par l’intérêt général. D’après ce que rapporte M. Bryce, il n’est pas rare de voir un gouverneur invoquer comme un titre à sa réélection l’emploi énergique qu’il a fait de son droit de veto.

Nous n’avons nulle idée de la fureur de légiférer des parlemens aux États-Unis. Je trouve à ce sujet des chiffres très curieux dans un discours prononcé à la réunion de 1886 de l’Association du barreau américain par son président, M. William Allen Butler. Ainsi, dans la session du congrès fédéral 1885-1886, le nombre total des bills « introduits » s’est élevé à 2,906, dont 1,101 ont été votés. Dans les différens états, les chiffres ne sont pas moins stupéfians. Dans dix états, 12,449 bills ont été proposés et 3,793 votés. New-York a pour sa part 2,093 bills proposés et 681 votés ; Kentucky, 2,390 proposés, 446 votés ; Alabama, 1,469 proposés, 442 votés. Les lois votées dans le Minnesota, pendant la session de 1887, forment un volume de 1,100 pages. À chaque session, les lois adoptées par le parlement du Wisconsin remplissent, en moyenne, 1,500 pages très serrées. Il est vrai que la plupart de ces bills se rapportent à des objets d’intérêt particulier.

  1. Voyez la Revue du 15 avril.