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remplace l’agneau. Approchez-vous des cadres qui tapissent les murailles ; parcourez tous ces placards, toutes ces proclamations ornées de la devise : « Liberté, égalité. » Elles ressemblent à des sermons, c’est une nouvelle éloquence de la chaire. Ailleurs, ce sont des Oremus, des Pater, des Credo : « Chaste fille des cieux, ô liberté ! tu es descendue pour nous sur la terre. Que ton nom soit à jamais chéri ! Ton règne est venu. Celui de la loi est pareillement venu ; que sa volonté soit faite !… Je vous salue, sans-culottides, noms vénérés !… Je crois dans un Être suprême qui a créé les hommes libres et égaux. » Voici le nouveau décalogue :

La république tu serviras,
Une, indivisible seulement…
À ta section tu viendras,
Convoqué légalement.
Ta boutique tu fermeras
Chaque décadi strictement.
À ton poste tu périras,
Si tu ne peux vivre librement.

Plus loin, ce sont les vingt-cinq préceptes de la raison : « Tout mortel républicain est ton frère. » — Art. 24 : « Sans-culotte républicain, à tous tes frères tu dois le bon exemple et des faits qui les persuadent. » Si extraordinaire que soit ce style, il s’accorde si bien avec tout le reste qu’on finit par le trouver naturel ; et, quand on s’est promené quelque temps dans ce musée de la révolution, ce sont les choses écrites dans la langue de tout le monde qui étonnent. On est surpris de trouver dans un coin cette annonce d’une feuille royaliste : « Cinquante louis à gagner pour celui qui citera un honnête homme du peuple qui ait gagné à la révolution. » En me penchant sur une vitrine, j’ai lu dans une lettre de Mme Roland cette réflexion charmante : « Les femmes ont une raison à elles et une façon de la traiter que les hommes n’entendent pas. » Pauvre guillotinée, tu n’avais pas su traiter la tienne !

La révolution fut une religion ; c’est ce qui explique ses grandeurs et ses folies, ses actions héroïques et ses crimes. Si elle avait été une philosophie, elle n’aurait pas fait tomber la tête d’un roi, et peut-être, bien que cela me semble douteux, serait-elle parvenue à éviter la guerre avec l’Europe. Mais, assurément, si celle guerre avait éclaté, elle n’eût pas réussi à conjurer tous les périls, à faire sortir de terre quatorze armées, à enchaîner la victoire à ses drapeaux, à braver tous les trônes coalisés contre elle. Les religions seules l’ont des miracles ; elles allument des incendies dans les âmes. De 1789 à 1794, il semblait que le climat moral de