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proscrivent. La république de 1792 aura les mêmes prétentions. Elle décidera qu’il y a des plaisirs républicains et d’autres qui ne le sont pas, des leçons de penser, de parler, de s’habiller, d’écrire qui conviennent à des hommes libres et d’autres qu’ils doivent réprouver. Il n’y a pour elle point d’actions indifférentes. A la liste des crimes qu’elle poursuit, elle ajoute la liste des péchés qu’elle condamne, presque aucun ne lui semble véniel, et elle, pose en principe que quiconque n’est pas un croyant est nécessairement un pécheur. La terreur n’est qu’un moyen, la vertu est le but. La vertu par excellence est l’amour de la révolution, et on n’aime véritablement la révolution que lorsqu’on se sent heureux de l’aimer, et que, haïssant tout ce qu’elle hait, on se plaît à tout ce qui lui plaît. M. Taine a cité le projet de constitution retrouvé dans les papiers de Sismondi, alors écolier : « Art. Ier. Tous les Français seront vertueux. — Art. 2. Tous les Français seront heureux. » Que si les Français s’exécutent de mauvaise grâce, on les obligera d’être heureux, on les forcera d’aimer la vertu, on les contraindra d’être libres.

Les religions considèrent que les œuvres ne sont rien sans la foi, et elles produisent des fanatiques qui pensent que la foi justifie et sanctifie tout, même le crime. Les vieux conventionnels, qui avaient gardé jusqu’au bout la ferveur de leurs croyances, ne reniaient rien de leur passé ; ils avaient agi par conviction, ils étaient prêts à recommencer. Mais ceux qui, ayant eu la fièvre, ne l’avaient plus, comprenaient difficilement comment ils l’avaient eue, et les uns tentaient de se dérober à leurs souvenirs, les autres au contraire se perdaient dans de longues explications, et ils avaient beau se nettoyer les mains, ils y voyaient toujours reparaître cette petite tache de sang que les explications ne peuvent laver. Un fanatique sincère, qui se fait l’exécuteur des hautes œuvres, croit obéir à une loi divine ; le jour où il ne croit plus, il découvre qu’il y avait une autre loi qu’il a volontairement violée. Dans le trouble de ses pensées ou dans l’exaltation de son esprit, il ne la voyait pas. Elle est sortie de la nuit, elle lui est apparue, et ne retrouvant plus son âme dans son crime, il se dit : « Etait-ce bien moi ? »

Les fanatiques sont le fléau des religions, les hypocrites en sont la honte. La révolution eut les siens ; ce sont ces coquins qui, à juste titre, déplaisent tant à M. Goumy. Lorsqu’une idée devient une puissance et qu’elle établit son règne dans ce monde, elle a aussitôt ses séides, et avec ses séides ses vils courtisans, qui ne pensent qu’à solliciter ses grâces. Pour faire son chemin, il faut agréer au prince, et le plus sûr moyen de lui plaire est de se