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est peut-être athée pour ne pas Voir assez loin. Des cercles sans fin se commandent-ils les uns les autres, ou bien un absolu fixe et immobile englobe-t-il ces zones infinies du variable et du mobile, selon la belle formule biblique : Tu autem idem ipse es, et anni tui non deficiant ? Nous l’ignorons absolument.

C’est dans la comparaison de l’atome à l’univers que les considérations infinitésimales ont leur juste application. Relativement à l’ordre de grandeurs où nous vivons, l’atome est un infiniment petit, un zéro. Relativement à un ordre de grandeur au-dessous, l’atome est un infiniment grand. L’atome est pour nous un point résistant ; la conception de l’atome comme un solide plein, aussi petit que l’on voudra, parait devoir être écartée ; le plein indivisible n’existant pas dans la nature. Notre univers, quoique composé de corps laissant entre eux d’immenses vides, est en réalité impénétrable. Supposons une flèche tirée avec une force infinie aux confins de l’univers ; cette flèche ne traverserait pas l’univers, en apparence si clairsemé ; elle rencontrerait des corps sans nombre, qui l’arrêteraient ; de même qu’une balle ne réussirait pas à traverser un nuage sans se mouiller.

Un atome de corps simple, un atome d’or, par exemple, peut ainsi être connu comme un univers, dont les différens composans, loin de former un solide plein, seraient aussi éloignés l’un de l’autre que les différens centres de systèmes solaires. L’impénétrabilité résulterait de l’invariabilité interne d’un tel corps, à laquelle aucun moyen naturel ou scientifique n’a pu jusqu’ici porter atteinte. L’inattaquabilité du corps simple serait un fait analogue à la stabilité des lois de notre univers ou plutôt à l’absence de volontés particulières dans le gouvernement de cet univers. L’absence de toute intervention externe dans l’ordre de choses que nous voyons répondrait à ce fait qu’aucun chimiste n’a réussi jusqu’ici à détruire le groupement d’une force primordiale infinie qui constitue un atome.

Il n’est donc pas exact de dire : « l’univers que nous voyons est éternel, » pas plus qu’il n’est exact de dire : « l’atome est éternel. » L’atome est un phénomène qui a commencé ; il finira ; notre univers est un phénomène qui a commencé ; il finira. Ce qui n’a jamais commencé et ne finira jamais, c’est le tout absolu, c’est Dieu. La métaphysique est une science qui n’a qu’une ligne : « Quelque chose existe ; donc quelque chose a existé de toute éternité ; » une telle affirmation équivaut à « Nul effet sans cause, » assertion qui a bien quelque chose d’expérimental. Mais, entre cette existence primordiale et le monde que nous voyons, il y a des infinis d’intervalle. Le monde que nous voyons et l’atome de corps simple