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Page:Revue des Deux Mondes - 1889 - tome 94.djvu/741

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du résultat de notre travail. Or, admis aux labeurs, nous ne sommes fias admis aux dividendes, et même notre salaire nous est assez mal payé. D’autres se mettraient en grève ; nous, nous allons tout de même.

En résumé, l’existence d’une conscience supérieure de l’univers est bien plus probable que l’immortalité individuelle. Nous n’avons d’autre fondement à nos espérances à cet égard que la grande présomption de la bonté de l’être suprême. Tout lui sera un jour possible. Esperons qu’alors il voudra être juste, et qu’il rendra à ceux qui auront contribué au triomphe du bien le sentiment et la vie. Ce sera un miracle. Mais le miracle, c’est-à-dire l’intervention d’un être supérieur, qui maintenant n’a pas lieu, pourra un jour, quand Dieu sera conscient, être le régime normal de l’univers. Les rêves judéo-chrétiens, plaçant au terme de l’humanité le règne de Dieu, conservent encore ici leur grandiose vérité. Le monde, gouverné maintenant par une conscience aveugle ou impuissante, pourra être gouverné un jour par une conscience plus réfléchie. Toute injustice alors sera réparée, toute larme séchée. Absterget Deus omnem lacrymam ab oculis eorum.

L’huître à perles me paraît la meilleure image de l’univers et du degré de conscience qu’il faut supposer dans l’ensemble. Au fond de l’abîme, des germes obscurs créent une conscience singulièrement mal servie par les organes, prodigieusement habile cependant pour atteindre ses fins. Ce qu’un appelle une maladie de ce polit cosmos vivant amène une sécrétion d’une beauté idéale, que les hommes s’arrachent à prix d’or. La vie générale de l’univers est, cumule celle de l’huitre, vague, obscure, singulièrement gênée, lente par conséquent. La souffrance crée l’esprit, le mouvement intellectuel et moral. Maladie du monde, si l’on veut, en réalité perle du monde, l’esprit est le but, la cause finale, le résultat dernier et certes le plus brillant du monde que nous habitons. Il est bien probable que, s’il y a des résultantes ultérieures, elles sont d’un ordre infiniment plus élevé.


Ernest Renan.