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pas assez, du reste, qu’ils puissent recueillir une flotte vaincue, s’ils ne peuvent la réparer, lui fournir des renforts, la défendre surtout contre l’attaque d’un ennemi victorieux. La base d’une escadre de cuirassés se réduit toujours à un grand arsenal maritime, puissamment organisé, doté d’un outillage complet, et avant tout de bassins de radoub ; d’ailleurs abondamment pourvu des munitions spéciales à la marine de guerre, de vivres, de charbon ; mis enfin par la nature et par l’art dans un étal de défense qui assure à une escadre un refuge inexpugnable.

Ainsi, tandis que la base d’une armée de terre s’étend sur une ligne, la base d’une armée navale se résume en un point. Doit-il en résulter quelque gêne pour sa concentration, quelque désavantage pour son offensive, quelques conséquences fâcheuses pour sa retraite ?

Je ne le pense pas : la constitution des escadres et celle des armées suivent des progressions inverses ; quand tous les jours on ajoute de nouveaux bataillons à ces masses épaisses dont une province entière ne pourra bientôt plus assurer la subsistance ni permettre le déploiement, les escadres, au contraire, voient décroître peu à peu le nombre, sinon la puissance, de leurs unités de combat. Cent trente vaisseaux avaient combattu à Beveziers et à La Hougue (1690-1692) ; les armées navales engagées à Ouessant (1778) et aux Saintes (1782) n’en comptaient chacune que trente ou trente-cinq ; à Lissa, en 1866, seize cuirassés à peine prirent part à l’action, et c’est tout au plus si, dans une guerre entre la France et l’Angleterre, chacun des deux partis pourrait se présenter au combat avec douze ou quinze navires. Il est vrai qu’en deux siècles le prix d’un bâtiment de ligne s’est élevé de 600,000 livres à 23 millions de francs. Les grands ports d’aujourd’hui suffisent donc parfaitement à la concentration des plus puissantes escadres. Leur offriraient-ils pour l’offensive un débouché convenable ? Oui, sans doute, parce qu’au sortir de la rade où elle s’est concentrée, l’escadre a, sur la vaste nier, le choix de sa route ; fut-elle même observée par les éclaireurs de l’ennemi, qu’il lui serait facile de les dépister par une fausse marche.

Cette escadre, battue par l’ennemi, regagnera-t-elle aisément une base d’opérations si étroite ?

Ceci veut être examiné de plus près : sans doute une escadre obligée de se dérober n’est pas astreinte, comme une armée vaincue, à suivre des chemins fixés d’avance et connus de l’ennemi. Les retraites latérales, les fausses routes, lui seront, la nuit au moins, toujours possibles ; la mer est discrète, d’ailleurs, et ne garde point de traces…

Nelson poursuivant, en 1798, la flotte qui portait en Égypte