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charbon et de munitions de combat, défendues d’ailleurs par de solides batteries, et qui prolongeraient pour ainsi dire le rayon d’action efficace de nos deux grands arsenaux, bases principales, bases essentielles de nos armées navales. Quels sont donc les points favorables à la création de ces bases secondaires ? N’est-ce point, au nord-est, Calais ou Dunkerque, nos seuls débouchés naturels sur la mer du Nord ? Dunkerque plus avancé dans l’est, déjà en pleine Flandre, peuplé de « pratiques » et de pilotes de la Deutschsee, d’ailleurs en possession d’un rudiment d’arsenal maritime et fier encore de ses glorieuses traditions ; Calais plus accessible peut-être aux navires de guerre et mieux aménagé depuis ses récens travaux.

Et dans le sud, n’avons-nous pas, outre la précieuse rade de Villefranche, poste avancé de Toulon vers la rivière de Gênes, des ports avantageux comme Ajaccio, qui surveille le débouché de Bonifacio, qui protège notre ligne de communications avec l’Algérie ; comme Porto-Vecchio, sur l’autre versant de la Corse et tout près de la menaçante Maddalena ? N’avons-nous pas une remarquable position offensive, Bastia, à égale distance (six heures de marche à 14 nœuds) de la Spezzia et de Civita-Vecchia ?

Plus loin enfin, dans cette France nouvelle qui grandit sur l’autre rive de notre mer intérieure, faut-il signaler Bizerte qui, mieux que Malte, domine à la fois les deux bassins de la Méditerranée, et où nous tiendrions dans nos mains le nœud qui la resserre ; Bizerte pour qui la nature a tant fait, et qui deviendrait, avec quelques travaux, un excellent port de refuge en même temps qu’un relais, qu’une étape, raccourcissant de moitié notre ligne d’opérations contre Tarente et contre Pola.

Ce n’est pas d’aujourd’hui que l’on s’efforce de donner des bases secondaires aux armées navales ; pendant la guerre de la succession d’Autriche, de 1743 à 1748, les flottes anglaises qui flanquaient, dans le golfe de Gênes, l’aile gauche des Austro-Sardes, se voyaient obligées d’interrompre trois fois par an leurs opérations pour aller se ravitailler à Gibraltar, alors leur seule base dans la Méditerranée. Pendant quelques semaines nos malheureuses populations provençales respiraient plus librement et nos armées, jointes à celles de l’infant don Philippe, pouvaient marcher sans entraves. La Corse tentait déjà nos avisés ennemis. et, la soulevant contre Gênes, ils essayèrent sans succès de s’établir à Bastia.

Plus heureux en 1794, grâce à Paoli, lord Jervis put établir dans le golfe de Saint-Florent une véritable base secondaire, juste en face de ces routes de la Corniche où s’usaient en efforts stériles les valeureux soldats d’Anselme, de Dugommier et de Schérer ; c’est de là que l’amiral anglais détachait l’actif Nelson pour inquiéter