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Trafalgar n’est qu’un accident qui se rattache à peine à la grande campagne stratégique de 1805 ; cette campagne, nous l’avons vu, était virtuellement terminée le 18 août, le jour où Villeneuve renonçait à se porter sur Ouessant ; le 21 octobre, lorsque notre flotte succombe sans profit, sinon sans gloire, l’armée du camp de Boulogne est au cœur de l’Allemagne, Mack capitule, Napoléon, à regret détourné de la mer, rêve la conquête du continent : les destins de la France sont fixés.

Répétons-le : le point culminant de la guerre maritime, l’apogée de la crise sera toujours le moment où la flotte liera ses opérations à celles de l’armée pour amener une solution que, séparées, ni l’une ni l’autre ne sauraient obtenir. C’est ainsi que la stratégie navale se rattache à celle des armées, sans se confondre avec elle, et que les combinaisons de la première assurent le succès des combinaisons de la seconde ; c’est ainsi que d’habiles généraux ou de grands capitaines, Cimon en Pamphylie, Scipion en Afrique, César en Bretagne et en Épire, Napoléon en Egyple, poursuivent à terre, avec leur armée, le résultat décisif que leur flotte a su préparer.

C’est à terre, en effet, on ne peut se le dissimuler, que se joue toujours la dernière partie : Salamine n’a pu sauver la Grèce, ni Lépante la chrétienté ; il a fallu Vienne et Platée pour terminer, à ces deux grandes époques, la querelle sans cesse renaissante de la civilisation et de la barbarie. Invoquerait-on l’exemple isolé d’Actium ? Mais si, quittant au cap Malée la galerie royale, Antoine était venu reprendre à Canidius le commandement de ses légions, il aurait fallu un nouveau Pharsale pour décider du sort de l’empire.

J’ai dû reconnaître ici la seule, mais inévitable supériorité des armées sur les flottes : que les marins me le pardonnent ! La nature fixe à l’effort de ces vaillans les mêmes limites qu’à la mer… Mais qu’importent les hommes, les engins, les moyens d’action, à qui s’élève assez haut pour ne voir que le but suprême, le salut de la patrie !

D’ailleurs, il jouira d’une gloire assez éclatante pour satisfaire le plus ambitieux, l’amiral vainqueur qui, par le choc de ses cuirasses, saura ouvrir à nos bataillons une voie nouvelle et préparer cette offensive vigoureuse qui convient seule au tempérament de notre nation. La renommée de Courbet nous en est une preuve suffisante, et je n’en veux pour garant que les honneurs dont un peuple reconnaissant entoura la dépouille de ce grand maria qui, après tant de jours sombres, lui avait montré l’aurore d’une gloire nouvelle.


Nous avons constaté successivement, dans cette étude, que les flottes, comme les armées, avaient, dans une grande guerre :