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dans cet aigle qu’une métaphore : pourquoi ne serait-ce pas l’aigle romaine qui conduisit Hérode d’Antioche à Jérusalem ?

J’ai déjà signalé ces mots : « J’ai donné l’Egypte pour ta rançon. » Mais le poète triomphe surtout de l’abaissement des Syriens, l’ennemi perpétuel, sous le nom de Babel ou Babylone (47-1)[1]. » Tout ce chapitre est rempli du développement de cette ruine d’une puissance si redoutable et qui, par son astrologie, semblait même en commerce avec le ciel. Jehova dit : « Je ferai manger à tes oppresseurs leur propre chair et je les enivrerai de leur sang (49-26) ; » allusion sans doute aux discordes intérieures dans lesquelles s’est abîmée la monarchie syrienne et par où elle est tombée aux mains des Romains. Beaucoup de juifs étaient relégués parmi ces impies, soit que l’anarchie et la guerre les eussent chassés de la Judée, soit qu’ils fussent retenus malgré eux par les Syriens. Et le prophète leur criait : « Sortez de Babylone, fuyez de chez les Chaldéens (48-20). » Ce sont les Syriens, au contraire, qui sortent maintenant de la Judée (49-17). Leurs dieux sont chassés aussi ; Bel et Nébo sont emportés par les bêtes de somme (46-1). S’agit-il d’idoles qui avaient reparu en Judée pendant que la Judée n’était plus maîtresse d’elle-même ? ou de quelques divinités emportées de la Syrie par les Romains, seulement pour en orner la ville souveraine ? Ou ces versets s’appliquent-ils à un de ces territoires syriens cédés par Auguste à Hérode, et dont celui-ci s’empressa sans doute de faire disparaître des images odieuses aux juifs ?

J’ai épuisé les faits extérieurs qu’on reconnaît ou qu’on peut croire reconnaître dans le Second Isaïe ; mais il s’en faut bien qu’ils fassent la principale préoccupation du prophète. Hérode lui-même, avec quelque éclat qu’il paraisse dans ce livre, n’y tient pas après tout une très grande place. Le poète n’est pas un poète de cour. Ce qui l’occupe, ce qui le passionne, c’est la fortune du judaïsme. Il grandissait tous les jours en dehors même de la Judée, et on pouvait pressentir déjà la révolution qu’on appelle l’avènement du christianisme, et que les juifs auraient eu le droit d’appeler l’avènement du judaïsme chez les Nations. Jéhova dit à son peuple : « C’est peu que tu sois mon serviteur pour relever les tribus de Jacob et ramoner les restes d’Israël. Je te réserve pour être la lumière des Nations, afin que le salut que je vous donne aille jusqu’au bout de la terre. Ainsi parle Jéhova à celui qui est méprisé de chacun, haï des peuples, esclave des puissans. Les rois ont vu, et ils se lèvent, les princes aussi, et ils se prosternent à cause de Jéhova qui est fidèle, et du Saint d’Israël qui t’a choisi (49-6-7). » C’est la première fois, et c’est la seule fois, dans l’histoire des

  1. Ailleurs, on retrouve le nom d’Assur, 52, 1.