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pour une vie éternelle, les autres pour l’opprobre et une éternelle ignominie » (12-2). Cette résurrection n’est, je crois, qu’une figure de style, pour dire que les mérites et les démérites, jusque-là enfouis dans l’ombre, reparaissent au grand jour. Ainsi se termine le livre de Daniel.

Mais je n’ai pas encore parlé d’un passage très remarquable. Après que les quatre bêtes du chapitre vu ont été condamnées et détruites, on voit paraître sur les nuées la figure d’un fils d’homme, c’est-à-dire d’un homme (en style juif) (7-13), qui reçoit de l’Etre aux longs jours (7-9), c’est-dire du dieu suprême[1], un empire qui doit survivre à tous les autres et durer éternellement. C’est la première et la seule fois que parait, dans l’Ancien Testament, l’idée du Royaume des Saints (7-22) ; je ne l’appellerai pas l’idée messianique, car il ne faut pas voir dans ce passage ce qu’on a appelé plus tard le Messie, et qui, dans l’Ancien Testament, n’est absolument nulle part. La forme humaine du verset 13 n’est qu’un symbole. Tandis que les empires des Nations sont figurés par quatre bêtes, l’empire des Saints l’est par un homme ; c’est l’expression de sa supériorité et de sa dignité. Il n’en est pas moins vrai d’ailleurs que dans la suite, quand se forma l’idée d’un Messie, on crut le reconnaître dans ce passage de Daniel ; de là est venue, pour le désigner, cette expression de Fils de l’homme, adoptée peut-être par tous ceux qui l’attendaient et qui l’annonçaient, mais qui l’a été certainement par Jésus, de la bouche de qui elle a passé dans les Evangiles. Il n’y a rien dans Daniel qui marque mieux la modernité du livre, et qui le fasse reconnaître comme plus proche du christianisme.


J’ai achevé ma tâche, et je crois que ma démonstration est faite, soit pour le premier âge prophétique, qui est la fin du IIe siècle, soit pour le second âge, celui d’Hérode, et cette fois peut-être encore plus complètement et avec plus de précision. Ces deux âges littéraires sont en même temps, comme il est naturel, deux grandes époques de l’histoire des Juifs : la première qui est de beaucoup la plus belle, pleine de vigueur et de passion, où ce peuple, qui semble tout près d’être écrasé par une puissance redoutable, lutte et s’affranchit, à l’aide sans doute de l’affaiblissement inattendu de ses maîtres, mais d’abord par son énergie et par sa foi en son dieu, c’est-à-dire sa foi en lui-même. La seconde, très inférieure en

  1. Il est à remarquer que le nom de Jéhova ne se trouve pas une seule fois dans la partie chaldaïque de Daniel. Il semble que l’auteur fasse déjà ce que firent plus tard les chrétiens, qu’il ôte à son dieu son nom local et sa marque juive. Jéhova réparait au chapitre IV.