découvrait jusque dans ses discours les plus véhémens et annonçait, dans le tribun, le gouvernant et le maître, tout cela, par contraste, fit ressortir peu à peu et éclaira comme de reflet la figure terne et le personnage étriqué de Robespierre. Robespierre se présentait comme un philosophe ennemi des grands, méconnu des heureux et des riches, à l’aise et à sa place seulement parmi les petites gens, inquiet des forts, rogue avec les hautains, empressé près des humbles, toujours préoccupé de leur bonheur, austère, sentimental, sans gaîté, par-dessus tout probe, sobre, chaste, économe, incorruptible, ce qui lui élevait un piédestal de vertu dans un siècle de libertinage cynique et de vénalité. Il est le zélateur de cette égalité jalouse qui, sous prétexte de niveler le monde, l’avilit devant soi. Mais ce moi haineux et haïssable, dont il fait son dieu, il le dissimule dans une sorte d’effusion de son âme en celle du peuple. Sincère d’ailleurs en ce sophisme de sa mission, il se croit appelé à régénérer le monde. Il porte le secret du salut de l’humanité. Il le révélera quand l’heure sera venue ; il agit avec la certitude qu’il le possède. Il a, dans sa pensée, un fond de mystère qui attire les imaginations ; dans sa parole, un fond de dogme qui subjugue les esprits ; dans sa conduite, une logique qui les enchaîne. La clarté est funeste, dans les révolutions : elle ne montre que des abîmes et des chemins périlleux ; Danton était trop clair et trop définitif. Il montrait trop de hâte d’achever la révolution ; il laissait trop peu de champ aux utopistes et aux brouillons.
« Vous demandez, s’écriait Jean-Jacques, s’il existait un complot. Oui, sans doute, il en existe un, et tel qu’il n’y en eut jamais et qu’il n’y en aura jamais de semblable. » C’est le complot de la nature des choses contre l’utopie. C’est ce complot-là qui empêchait l’ordre de sortir du règne des anarchistes et le bonheur du genre humain du règne des révolutionnaires. Robespierre le dénonçait incessamment. La délation était tout son génie ; mais ce génie était précisément celui qu’il fallait pour devenir prophète au club des jacobins. Robespierre rejetait sur les ennemis de la secte l’impuissance qui était le fait des sectaires eux-mêmes. Leur vanité, leurs chimères, leurs haines, tout incitait les sectaires à le croire. Chacun d’eux s’exaltait et se divinisait en lui. Son prestige se soutenait du préjugé de tous. Robespierre s’insinuait avec cette fourberie consommée que les plus fameux imposteurs ont mêlée au fanatisme. Il se proposait au peuple comme le dictateur fidèle de ses volontés. Avançant ainsi devant la foule, précédant l’arche et semblant conduire le cortège, il donnait à ceux qui le poussaient l’illusion d’une marche rigide, droit devant lui, parce qu’il marchait droit devant eux. A l’inverse de ces généraux d’année qui