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ne tend qu’à les vexer, à les opprimer indignement. Il faut rompre ses mesures. L’on nous en saura obligation. » Le comité étudia ces projets, Robespierre s’y intéressa. Les opérations devaient commencer par Gènos. « Ce gouvernement, écrivait Robespierre le 16 juin, ne peut nous être favorable que par la crainte. Il faut donc, loin de chercher à le flatter ou à le gagner, exiger de lui des marques éclatantes d’estime pour la république et pour ses armées. » Ce fut l’objet d’une mission spéciale que Robespierre le jeune et le représentant Ricord confièrent à Bonaparte. Il la remplit du 15 au 21 juillet. Le bruit de ces projets se répandit on Italie. Les agens français le semèrent eux-mêmes, insinuant qu’ils répandaient l’or à profusion afin de disposer les esprits à la conquête. Venise trembla et envoya un émissaire à Paris pour scruter les intentions du comité. Cet agent, un Suisse, nommé Guissendorfer, fut reçu, au comité, par Robespierre et par Couthon : « Ils considèrent, rapporte-t-il, l’Italie comme un objet de premier intérêt ; ils se flattent d’y trouver des moyens de subsistance par l’agriculture, des richesses par la spoliation de l’aristocratie, et ils comptent que cette diversion obligera les puissances à diminuer leurs troupes dans les Flandres et sur le Rhin… Venise ne sera pas attaquée directement, mais leur projet paraît être d’y susciter des troubles qui leur fourniront un prétexte pour y intervenir… » C’est déjà la politique de 1797, et en même temps qu’elle s’esquisse, paraît l’homme qui doit l’accomplir. Mais ce n’est qu’un intermède dans l’histoire du comité de l’an II. Robespierre avait des soucis plus instans où il s’absorba.


IV

Hébert est mort ; Danton est mort ; la commune est acquise ; la Convention est subjuguée ; Robespierre a coupé toutes les têtes qui dépassaient son niveau ; il a tout dévasté, consterné, écrasé autour de la « sainte montagne. » Cependant il ne se sent ni plus sûr de lui-même ni plus en sûreté dans sa place. Il n’a plus à ses côtés que ses séides : il commence à les craindre. C’est qu’il voit poindre parmi eux ces rivalités et ces dissidences qu’il a prétendu proscrire partout et à jamais. Ce ne sont plus, à la vérité, les factions des girondins ou des dantonistes ; ce sont des factions plus élémentaires, plus irréductibles aussi, toutes de personnes, d’intérêts, de jalousie, où les idées n’entrent pour rien, même après coup et dans les discours. Robespierre voudrait un cortège d’élus, il n’a qu’une escorte de complices. Il soupçonne, il discerne en eux les fermens des « vices » et de la « perfidie » de ses ennemis vaincus. Il constate avec effroi que la brigue, la corruption,