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Page:Revue des Deux Mondes - 1889 - tome 94.djvu/930

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— Tu parais bien lasse ; tes forces sont épuisées, reprit-il. Tu ne peux continuer cette nuit ton pèlerinage, chargée de ton lourd fardeau. Viens, je veux t’emmener dans la maison de mon père.

— Je te remercie, mais je la profanerais, répondit-elle doucement.

— Alors en quoi puis-je te soulager ?

— Tu es bon, répondit-elle, fixant sur lui le regard profond de ses yeux bleus d’enfant.

— Dis-moi ce que je pourrais te donner.

— De l’eau, une gorgée seulement. J’ai marché tout le jour, je meurs de soif, et n’ai plus la force d’aller à la recherche d’un puits.

Roman descendit à grandes enjambées la pente au bas de laquelle coulait une source limpide, et remplissant son bonnet d’eau, il la porta à la pauvre pécheresse, qui la huma à pleines gorgées. — Que Dieu te récompense, dit-elle, — puis elle retomba dans son anéantissement. Roman se coucha dans l’herbe à ses pieds et la contempla.

Tout d’un coup, elle tourna la tête vers lui.

— Ne me regarde pas, s’écria-t-elle, j’ai été une cause de péril pour plus d’un. Je pourrais te rendre malheureux comme les autres. Ne me regarde pas, va-t’en, va-t’en !

— Non, je reste.

— Je t’avertis une dernière fois.

— Oh ! moi, je n’ai pas peur.

— Que me veux-tu donc ? demanda-t-elle. Je suis une grande pécheresse. Ma vie est vouée à la pénitence : si tu me connaissais comme Dieu me connaît, tu me cracherais au visage, et tu me repousserais loin de toi.

— Tu ne saurais être mauvaise avec ces yeux-là.

— Je l’ai été pourtant.

— Tu es malheureuse.

— Malheureuse ! oh ! oui, bien malheureuse ! mais j’ai été mauvaise, vicieuse éternelle, et maintenant, je suis une réprouvée, les hommes me fuient comme la peste, et ils ont raison.

— Non, ils ont tort.

— Mais que sais-tu donc de moi ? dit la belle pécheresse avec un sourire amer et douloureux. Ah ! si je voulais parler.

— Parle donc.

Après un moment d’hésitation, elle dit :

— Soit ! — Je suis la fille d’honnêtes gens. Mon père était garde-barrière dans un village, près de Koloméa. Mais moi, j’eus toujours le désir de monter plus haut.

Déjà, tout enfant, quand j’écoutais les contes de fée que nous