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le shah. Malheureusement tout a une fin, les galas comme tout le reste. Les rois d’Orient sont partis, Dinah-Salifou lui-même est parti, — et les illustres visiteurs de la tour Eiffel ne sont pas à la frontière que déjà on est ressaisi par la politique. On est à peine sorti des élections des conseils-généraux qu’il faut songer et se préparer aux élections de la prochaine chambre. On se retrouve surtout en présence de ce procès qui se déroule depuis quelques jours au Luxembourg, qui n’a rien des mille et une nuits persanes, qui semble résumer et concentrer nos incohérences, nos faiblesses, nos corruptions, nos misères, notre désorganisation morale et politique depuis quelques années.

Le voilà ouvert, en effet, même déjà à peu près clos, cet étrange procès qui s’instruit depuis quelques mois, où celui qui fut le général Boulanger, captant les multitudes, est accusé d’attentat contre les institutions, de complot contre la sûreté de l’état, de détournement des deniers publics dans ses fonctions de ministre de la guerre. Les complices ne comptent pas ; c’est M. Boulanger qui seul est l’accusé, qui est mis on cause dans ses actes, dans ses ambitions, dans ses intrigues, dans son rôle de conspirateur ou d’agitateur. A dire vrai, tout n’est pas clair, il y a bien des points obscurs et délicats dans cette triste affaire, dans la manière dont elle a été engagée et conduite jusque devant cette haute-cour qui en décide à l’heure qu’il est. On a beau s’en défendre, on s’est un peu trop exposé à confondre la justice et la politique, à paraître charger le sénat de l’exécution sommaire d’un personnage dont on ne savait comment se défaire. Il a pu aussi sans contredit s’élever des doutes sur la qualification des actes incriminés, sur les juridictions, sur la compétence du sénat, — et des hommes sérieux, comme il y en a au Luxembourg, ont pu manifester ces doutes, même décliner au dernier moment le mandat de juges, sans être suspects de faiblesse pour un accusé peu intéressant. De plus, le réquisitoire même que vient de prononcer M. le procureur-général Quesnay de Beaurepaire et qui n’a pas duré moins de trois jours, ce réquisitoire est visiblement une œuvre passionnée et diffuse qui abuse par trop des interprétations violentes, des indiscrétions inutiles, et des divulgations scandaleuses. Oui, sans doute, il y a de la passion, des impatiences d’adversaires, des irrégularités dans ce procès, dans ces dialogues entre un ministère public, qui s’affranchit des usages du jugement par contumace pour parler trois jours, et un accusé qui envoie de l’exil ses défenses, mêlées d’outrages, sous la forme de manifestes au peuple français. C’est possible. Le fond n’existe pas moins. Rien ne manque pour faire de cet étrange procès un des épisodes les plus curieux, les plus instructifs et les plus édifians d’un temps fertile en versatilités et en fortunes de faction.

Qu’il y ait attentat ou qu’il n’y ait point attentat, qu’il y ait complot et concussion ou qu’il n’y en ait pas, qu’on fasse la part de la passion, des exagérations, de l’abus des petits papiers, il en reste toujours