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Page:Revue des Deux Mondes - 1889 - tome 94.djvu/954

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assurément ce n’est point en France, dans la France d’aujourd’hui, qu’il y a des projets de prochaines entreprises extérieures, des préméditations guerrières. La France n’y songe guère ; elle est partagée entre des affaires intérieures qui lui restent à régler par ses élections, qui ne laissent pas d’être difficiles, et l’entraînement presque naïf avec lequel elle se livre à tous les attraits d’une exposition devenue le rendez-vous du monde, l’occasion de fêtes indéfinies. Non, ce n’est pas de la France que soufflent les mauvais vents. D’un autre côté, cependant, il est certain qu’il y a des états, des gouvernemens qui font comme si la paix était menacée, sauf à accuser les autres de ce qu’ils font eux-mêmes. Il y a des pays où les journaux passent leur vie à agiter l’opinion par les bruits qu’ils répandent, par leurs polémiques irritantes. On ne veut que se défendre, sauvegarder la paix, c’est convenu, c’est depuis longtemps le mot d’ordre ! C’est pour le bien de la paix qu’on multiplie les précautions soupçonneuses aux frontières, qu’on arme avec précipitation les côtes comme si la guerre était sur le point d’éclater, comme si on allait être attaqué ; c’est pour la paix qu’on signe des traités militaires préparant les plans de campagne, qu’on s’essaie à nouer l’alliance de toutes les forces, à entraîner les peuples les plus étrangers aux querelles continentales dans des coalitions menaçantes ! En sorte que les grands protecteurs de la paix sont précisément ceux qui contribuent le plus à émouvoir l’opinion, à créer le danger par leurs agitations et leurs combinaisons. Le meilleur préservatif contre ce travail continu et dangereux, c’est de le connaître, de le suivre avec sang-froid et de ne s’en préoccuper que dans la mesure de prévoyance nécessaire. Pour l’instant, on n’en est pas encore heureusement aux extrémités, et une fois de plus, pour cet été, tout semble devoir se passer en voyages plus ou moins retentissans, en visites entre souverains.

La France a ses fêtes de l’Exposition, qui sont le gage ou le signe le plus évident des goûts pacifiques auxquels elle ne renoncerait que si elle était déliée, si on la poussait à bout ; les souverains ont leurs entrevues, leurs représentations et font leurs voyages d’agrément ou de cérémonie qui piquent toujours la curiosité et ont leur intérêt. L’empereur Guillaume, avec son impatience de jeunesse, est visiblement de ceux qui ne se plaisent pas longtemps au repos dans un palais, qui aiment le bruit, le mouvement et l’ostentation. Il y a quelques jours il était pour sa santé sur les côtes de la Norvège, respirant l’air de la mer. A l’heure qu’il est, il est à Berlin, recevant l’empereur François-Joseph qui lui rend sa visite, qui, à défaut de galas de cour peu faits pour son deuil de père, ne peut éviter de voir défiler devant lui les régimens allemands et a l’occasion, peut-être peu désirée, d’achever sa réconciliation avec les vainqueurs de Kœniggrætz. Dans l’intervalle le jeune et impétueux empereur d’Allemagne a fait définitivement son voyage en Angleterre ; il est arrivé escorté par son escadre dans les eaux