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religion d’une chrétienté désorientée, depuis qu’elle avait perdu la présence réelle des papes, un ascendant extraordinaire. Mais, comme alors toute œuvre humaine ou politique relevait de Dieu et que tout pouvoir semblait une délégation donnée par Dieu, la nonne de saint Dominique, grâce à son prestige mystique, apparut à son siècle comme le témoin vivant du Père céleste, l’arbitre des peuples, le guide inspiré de l’Italie dans la crise révolutionnaire où se préparait, du haut en bas de la péninsule, un ordre social tout nouveau. Les grands l’écoutaient respectueusement et les petits tendaient vers elle leurs mains suppliantes. Les bourgs du contado de Sienne, troublés par les haines séculaires des familles, appelaient Catherine et, sur-le-champ, elle leur apportait la branche d’olivier. Il y avait si longtemps que l’Italie n’avait plus entendu l’écho du sermon de la montagne et que personne n’y parlait plus de béatitude à ceux qui pleuraient et souffraient pour la justice ou la liberté ! L’apostolat de saint François d’Assise était épuisé. Ceux de ses frères qui s’étaient laissé séduire par l’appel de l’église temporelle, satisfaits de leurs richesses et de leurs grands couvens, s’étaient assoupis dans l’égoïsme monacal que le fondateur avait cru détruire. Les autres, les indépendans, âmes ardentes, toujours en révolte contre la puissance séculière de Rome, impatientes de tout ordre dogmatique, avaient glissé jusqu’au bord de l’hérésie, et le XIVe siècle vit flamboyer les bûchers de ces doux rêveurs d’une religion idéale, qui osaient encore prêcher le Jésus pauvre et nu de Bethléem, le Dieu des misérables et des opprimés, qui n’avait point possédé même une pierre pour y reposer sa tête.


II

Cependant Catherine se tournait vers la grande martyre de ce siècle : l’église chrétienne. Elle s’était réjouie du retour d’Urbain V à Rome. Mais ce pape français, grave bénédictin et docte jurisconsulte, s’était vite lassé de sa nouvelle résidence. C’est pour lui que furent écrites ces paroles saisissantes, imitées des faux Actes de saint Pierre : le roi de France dit au pape : « Domine, quo vadis ? — Romam, répond le pape. Iterum crucifigi, » réplique le roi. Jadis, à Milan, Innocent VI l’ayant envoyé à Bernabo Visconti, l’ennemi des papes, le tyran lui avait rendu la lettre pontificale avec ces mots : « Abbé, avale cette lettre, ou tu es mort. » La lettre avait été avalée, mais Urbain V n’avait jamais dès lors regardé les Italiens comme ses bons amis. Effrayé par la violence des factions, harcelé par les prières de ses cardinaux français qui regrettaient leurs palais d’Avignon, il était retourné, au bout de trois ans, à son exil de Provence, malgré les prophéties de sainte Brigitte et les