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capitaine-général de la ligue. Les dernières horreurs menaçaient l’Italie, Catherine ne pouvait plus tarder : elle appela de Sienne et de Pise ses plus chers disciples et se mit en route pour la France. Le 18 juin, elle arrivait à Avignon, avec une escorte de moines et de chevaliers. Grégoire lui avait fait préparer « une belle maison, avec une chapelle très ornée. » Au bout de doux jours, il la reçut en consistoire solennel, assis sur le trône, en présence du sacré-collège. Le saint-père et Catherine s’entretinrent par interprète. Elle parlait en toscan vulgaire, et Fra Raimondo traduisait en latin. Lors de la première audience, le pape fut ému profondément et lui dit : « Afin que tu voies clairement que je veux la paix, je remets toutes choses en tes mains, je te recommande seulement l’honneur et le bien de la sainte église. »

Dès ce moment elle multiplie ses démarches et ses lettres. Elle sollicite, à Avignon, les cardinaux et les seigneurs attachés à la cour de Grégoire ; elle gourmande, à Florence, les Huit de la guerre, qui viennent d’établir un impôt maladroit sur les biens des clercs ; elle presse l’envoi de l’ambassade florentine. « Vous me gâtez, par vos imprudences, tout ce que je sème ici, » écrit-elle. Le pape, à son tour, s’impatientait du retard des Florentins et disait : « Croyez-moi, ils m’ont bien trompé, ils vous tromperont aussi. » Enfin apparaissent trois députés des Huit ; mais c’étaient des fourbes chargés par leurs maîtres, qui ne souhaitaient que la prolongation de la brouille, de faire tout échouer. Catherine les supplie de se confier à elle, « au nom de son grand amour de Florence, pour laquelle elle voudrait mourir ; » ils lui répondent qu’ils ne reconnaissent point ses pouvoirs et n’ont affaire qu’au pape tout seul. Mais, avec celui-ci, ils le prennent sur un ton si arrogant, que les négociations sont rompues. Toutes sortes d’intrigues, la jalousie des courtisans, l’hostilité des cardinaux, qui redoutent le départ pour Rome, la curiosité malveillante des dames d’Avignon, qui tournent en dérision la vertu de Catherine, embarrassent de la façon la plus grave l’action de la jeune femme. Si Grégoire VI s’entretient volontiers avec elle, la consulte en présence du sacre-collège et lui demande ses prières, les prélats français la poursuivent jusqu’au fond de sa cellule par leurs interrogatoires perfides sur les subtilités de la théologie ; ils cherchent à déconcerter la mystique italienne par leur morgue scolastique, à la tenter dans sa foi, comme feront plus tard les inquisiteurs de Jeanne d’Arc. Une nièce du pape la surprend en extase à la table de la communion et lui enfonce dans le pied une aiguille d’acier ; Catherine, réveillée par la douleur, sort chancelante et ensanglantée de l’église.

Elle luttait cependant, sans se décourager, demandait à grands