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Pour un Japonais, il n’y a pas deux fleurs, deux insectes, deux gestes qui se ressemblent. Leur petit œil est ainsi fait qu’il embrasse toute la nature et en dissocie les élémens, afin de recomposer avec eux une seconde création, rivale de l’autre. Toutes les matières leur sont bonnes pour donner un corps à la vie inépuisable qu’ils ont dans les doigts ; et ils varient de mille façons chaque matière, les bois, les argiles, les métaux auxquels ils savent seuls communiquer une patine incomparable. Les connaisseurs n’estiment pas que le génie du Nippon ait fait à l’Exposition tout l’effort dont il est capable ; sa fécondité n’en est que plus caractéristique sur des objets de fabrication courante et de mince valeur. Quel enchantement, cette salle ! Elle contient tous les êtres possibles, tout l’univers des formes, et chacune est aussi inattendue qu’elle est vraie. Regardez ce paravent où les brodeurs ont jeté une centaine de figures ; pas un de ces personnages qui n’ait son mouvement personnel, sa plaisanterie particulière ; toutes ces petites âmes falotes méditent des drôleries différentes. Placez à côté du paravent la plus joyeuse kermesse de Téniers ; elle paraîtra monotone et inanimée. De même, quand on revient chez nous en sortant de la salle japonaise, tout ce qui est dans notre art simple reproduction de la nature semble timide et figé. J’aurai l’occasion de chercher tout à l’heure par où nous prenons notre revanche.

Avant de quitter les étrangers, je veux faire encore un compliment collectif et l’adresser à la Norvège. La section norvégienne est une oasis ; tout y repose les yeux charmés ; ils ne voient que des produits naturels et loyaux, de beaux bois coquettement assemblés, une orfèvrerie originale dans sa modestie, des fourrures de prix légères comme des soies et disposées par des mains ingénieuses. Pas une faute dégoût dans cette salle ; on y chercherait vainement ce qui abonde dans tant d’autres, un tapissier ou une modiste à l’instar de Paris, une loque de peluche, un simili quelque chose. Tout y donne l’idée d’une race honnête, simple et forte, qui ne s’endimanche pas avec nos vieilles modes et se contente de sa distinction innée. Depuis longtemps, le talent vigoureux de ses paysagistes commandait notre admiration ; ses chanteurs ont achevé de nous prouver qu’on excelle dans tous les arts, chez ce peuple parfaitement aimable. — Je voudrais aussi trouver quelque mérite rare dans une section plus exiguë, celle de la république de Saint-Marin. Voici pourquoi. Un jour que j’y admirais, — en photographie, — le capitaine des gardes-nobles, qui a une mine tout à fait triomphale à la tête de sa compagnie, un citoyen de cette république expliquait près de moi à quelques visiteurs la politique de son pays. Il disait que Saint-Marin s’était consulté pour savoir