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électeur. L’homme a disparu ou à peu près ; qu’on ne s’y trompe pas cependant, rien n’est sensiblement changé dans l’état général du pays, dans les conditions de la lutte électorale qui va s’engager, où la masse française entre avec des griefs qui ne tiennent pas à un homme. En réalité, à travers toutes les confusions, la question reste aujourd’hui ce qu’elle était. Il ne s’agit plus de M. Boulanger, il ne s’agit pas même de république ou de monarchie. Il s’agit pour le pays de choisir entre ceux qui n’ont rien appris ni rien oublié, qui n’ont régné depuis dix ans que pour tout compromettre, qui se parent encore avec orgueil de leurs fautes, et ceux qui pourront lui offrir les garanties d’un gouvernement meilleur, d’une politique de réparation, de prévoyance, d’équité libérale.

On dirait en vérité que certains républicains ont des yeux pour ne point voir, qu’il n’y a pour eux que M. Boulanger dans le monde, que M. Boulanger une fois vaincu, ils n’ont plus qu’à reprendre leur œuvre, leurs tactiques, leur politique de partis et de domination exclusive. A peine le procès du Luxembourg est-il dénoué, les chefs républicains rentrent en campagne. Les discours et les manifestes se croisent, les programmes se succèdent. M. Jules Ferry répand la parole opportuniste dans les Vosges ; M. le ministre des affaires étrangères Spuller va prêcher à Seurre dans la Côte-d’Or la nécessité de la marche en avant avec accompagnement de circonspection et de sagesse. M. Charles Floquet est à Beaune, exposant la manière d’être radical avec les précautions et les temporisations nécessaires. Le ministre des travaux publics, M. Yves Guyot, est partout où il y a un chemin à ouvrir et un discours à faire pour montrer comment on peut être, selon l’occasion, un révisionniste avec des collègues qui ne le sont guère. Et au bout du compte que veulent-ils tous par-dessus tout ? Quel est leur dernier mot ? Mon Dieu ! c’est bien simple, la recette est toute trouvée et n’a rien de précisément bien nouveau pour un programme de campagne électorale. Que les républicains de toutes les nuances, opportunistes et radicaux, n’y regardent pas trop près ; qu’ils s’unissent et se concentrent, qu’ils se fassent des concessions mutuelles pour refaire ensemble une majorité compacte à la chambre prochaine, pour reprendre et continuer d’un commun effort l’œuvre républicaine si bien commencée, si fâcheusement interrompue par une menace de dictature et par les réactionnaires ! La concentration et l’union, c’est le salut, c’est le grand moyen pour ne pas retomber dans l’anarchie de la dernière chambre. Il n’y a qu’un malheur, c’est que l’expérience est déjà faite ; c’est que la politique est connue, qu’elle a produit tout ce qui arrive, sans exclure M. Boulanger, qu’elle a conduit à cette crise de confusion où l’on ne sait plus à quoi se rattacher, où constitution, gouvernement, administration, finances, paix morale, tout est compromis. Cette situation, que les républicains proclament si merveilleuse quand ils parlent au bon public et qu’ils