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c’était sa passion généreuse de la grandeur de la France. Le duc d’Orléans. — c’est bien clair, — avait rêvé pour la révolution de juillet un rôle plus décidé ou moins effacé, une politique extérieure plus active. Il avait entrevu aussitôt, en Europe, la possibilité de mouvemens constitutionnels qui seraient une extension de l’influence française. Il avait, comme beaucoup de ses contemporains, la haine ou la défiance des traités de 1815, de la sainte-alliance de la contre-révolution sous toutes les formes, et il ne reculait pas, dans ses confidences, devant l’idée d’une « réorganisation de la société européenne. » Ce n’est pas qu’il aimât la guerre pour la guerre ; il avait la fierté ou la naïveté de croire que son pays était encore le premier soldat de la civilisation, et, pour servir la grandeur de la France, il ne pouvait mieux faire que de se donner passionnément à l’armée, de vivre avec elle, de partager ses travaux et ses fatigues pour pouvoir partager ses succès futurs. Il était avec elle au siège d’Anvers, faisant galamment son devoir sous le feu à la tranchée ; il la suivait, quand on le lui permettait, en Afrique. Il se faisait le défenseur de ses intérêts, de ses traditions, de ses susceptibilités, et c’est avec une généreuse émotion qu’il s’élevait un jour, dans une lettre au ministre de la guerre, contre l’idée saugrenue qu’on avait eue de changer les vieux drapeaux mutilés de nos régimens. Le duc d’Orléans faisait son métier de prince, si l’on veut ; il se sentait aussi attaché à l’armée, comme il l’écrivait, « parce qu’elle est l’expression la plus vive de l’esprit national, l’élément le plus étranger à la corruption et au cosmopolitisme qui nous ronge. » Dans cet attachement, du reste, il n’entrait aucun calcul, aucune arrière-pensée de faire un jour ou l’autre de l’armée une complice de coups d’état. Le duc d’Orléans ne séparait pas les institutions libres de la grandeur nationale, et ce n’était sûrement pas un prince vulgaire qui pouvait écrire à un ami : « Chaque illusion que je perds me donne une affection de plus pour cette France, qui demande à être comprise et servie, qui ne veut pas être déguisée et exploitée. » Nous voilà ramenés, par ces Lettres, à un passé lointain, à d’autres idées, à d’autres inspirations, à ce qu’on appellerait aujourd’hui un autre état d’esprit !

A quoi tiennent cependant les destinées d’une grande nation et peut-être de l’Europe ? A peine le prince au courage tout français et aux pensées déjà si sérieuses a-t-il écrit sa dernière lettre, qui est adressée à M. Bresson, — une autre victime promise à une fin tragique, — à peine a-t-il tracé d’un esprit vif et confiant le plan des prochaines manœuvres qu’il va commander à Saint-Omer, il bute sur une pierre du chemin de la Révolte, et tout est changé dans le monde ! Un accident obscur, en tranchant cette brillante vie, ouvre à l’improviste un avenir inconnu dont personne ne peut même avoir le pressentiment. Si le duc d’Orléans eût vécu, il est plus que probable que la révolution de 1848 ne se serait point accomplie, que les événemens auraient suivi un tout