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ni plus ni moins. Le passage de l’empereur ne paraît pas avoir eu une influence sensible sur l’état moral des populations pas plus que sur le régime administratif auquel elles sont soumises. C’est une apparition impériale qui n’aura peut-être pas laissé plus de traces que les illuminations.

Qu’en est-il réellement des autres voyages et entrevues de Guillaume II, de sa dernière excursion à Osborne, de la visite plus récente encore qu’il a reçue de l’empereur François-Joseph à Berlin ? On ne s’est fait faute sans doute, on ne se fait faute même encore à l’heure qu’il est, de donner un sens, une portée caractérisée au voyage de l’empereur à Osborne, de parler avec mystère de ce qui se serait passé entre lord Salisbury et le comte Herbert de Bismarck, de représenter l’Angleterre comme toute prête à entrer avec armes et bagages dans la triple alliance. C’est peut-être aller un peu loin ou un peu vite, et laisser trop voir le prix qu’on attache à attirer l’Angleterre dans la coalition continentale, à la compromettre tout au moins. Malheureusement il y a au parlement de Londres un député radical curieux et interrogateur, qui tient absolument à savoir la vérité, qui ne cesse de harceler le gouvernement pour lui arracher un aveu ou un désaveu. M. Labouchère, plus obstiné que jamais, a saisi ces jours derniers l’occasion de renouveler ses questions embarrassantes, et le sous-secrétaire d’état, sir J. Fergusson, s’est obstiné plus que jamais lui aussi à répondre en termes évasifs, à déclarer une fois de plus que l’Angleterre n’était point engagée, qu’elle restait toujours maîtresse de ne consulter dans une guerre éventuelle que ses intérêts et les circonstances ; un membre du gouvernement s’est même fait un devoir de désavouer toute idée préconçue, toute intention désobligeante à l’égard de la France. Le plus vraisemblable est qu’en effet l’Angleterre a plutôt des préférences que des engagemens, qu’elle n’est point liée, que lord Salisbury, dans tous les cas, n’aurait pu songer à aliéner la liberté de ses successeurs et les droits du parlement. C’est une tradition anglaise à laquelle il n’y a aucune raison de déroger pour le moment. Quant à la récente visite de l’empereur François-Joseph à Berlin, les commentateurs de bonne volonté n’ont pas manqué naturellement d’en relever l’importance, de la rattacher au voyage de Guillaume II à Osborne, à la visite du roi Humbert à Berlin, et de voir dans tous ces faits groupés avec artifice une sanction nouvelle de la grande alliance. Que l’alliance subsiste, au moins pour trois puissances, cela n’est pas douteux ; qu’on ait saisi l’occasion de préciser certaines conditions d’une action militaire éventuelle, cela se peut encore. En réalité, après comme avant, tout reste assez vague, assez peu décisif ; toutes ces visites, ces entrevues, ces réunions sont une agitation assez vaine ; elles ne laissent pas entrevoir que le moment du choc entre l’Autriche et la Russie soit venu, qu’il y ait un péril de plus sur la frontière de France, que