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Page:Revue des Deux Mondes - 1889 - tome 95.djvu/331

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chacune était tout entière contenue physiquement ou mécaniquement dans la précédente, et une physiologie assez puissante aurait pu prédire les formes futures du corps d’après les formes actuelles ; mais les manifestations psychologiques, quoiqu’elles fussent liées par une loi déterminée à leurs antécédens, n’y étaient pas contenues d’avance psychologiquement : de la simple vie végétative on n’aurait pas pu déduire la pensée, l’amour, la moralité des êtres humains. — Affaire de simples formes, — dira-t-on. — La question est précisément de savoir si sentir, penser, vouloir, faire effort, avoir conscience, ce sont là simplement des formes, des apparences, ou si, au contraire, ce n’est pas les rapports changeans dans l’espace et dans le temps, c’est-à-dire les mouvemens qui sont des formes, tandis que l’activité mentale serait le fond, lui tout cas, elle est le fond pour nous, puisqu’elle est pour nous l’immédiat, l’irréductible : quand je jouis ou que je souffre, aucun raisonnement au monde ne pourra réduire ma jouissance ou ma peine à une simple apparence, car le paraître, ici, coïncide absolument avec l’être.

Le défaut de la théorie évolutioniste telle que M. Spencer l’a exposée, c’est précisément qu’il n’a pas distingué la persistance ou équivalence mécanique de la force et le progrès mental. Nous avons essayé ailleurs de mettre en évidence cette distinction. Si on ne peut pas d’avance assigner des limites à l’énergie mentale, c’est que l’équivalence physique des mouvemens extérieurs peut se concilier avec un progrès intérieur de la volonté vers des formes de plus en plus élevées. La pensée, en apparaissant dans le monde, n’a pas changé l’équilibre des plateaux de la nature ; elle n’en constituait pas moins une nouveauté morale plus importante que l’identité mécanique des causes et des effets. Le monde chrétien peut ne pas peser davantage sur la terre que le monde païen, il n’en a pas moins, dans l’ordre moral, une valeur supérieure ; la nature se répète toujours mécaniquement, elle change toujours mentalement.

Nous retrouvons une théorie analogue chez M. Wundt. Selon lui, la volonté porte en soi un trésor de « force psychique » qu’il est impossible à l’avance d’enfermer dans des limites. Pour expliquer le « développement mental » qui se produit dans l’humanité et dans le monde, M. Wundt dit qu’il faut admettre un « principe d’énergie mentale toujours croissante, » en opposition avec o le principe d’équivalence » qui règne dans la physique. Il en résulte que les événemens passés de l’ordre moral peuvent toujours être expliques par leurs causes, mais les événemens futurs de l’ordre moral ne peuvent être « prédits » par la science, parce que, tout en étant