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couvrant le déploiement des colonnes, les reliant entre elles, observant les abords de Metz, les directions de Nancy et de Toul[1]. « Qu’on me permette, écrit le prince de Hohenlohe, de récapituler et de classer les services que notre cavalerie a rendus dans la dernière guerre : les divisions de cavalerie précèdent de beaucoup nos corps de bataille. Elles entourent ceux de l’adversaire comme d’un réseau et empêchent ainsi l’état-major général de l’armée française d’apprendre quoi que ce soit sur nos mouvemens, tandis qu’elles tiennent constamment notre grand état-major au courant de ce qui se passe chez l’ennemi. Elles mettent les commandans en chef de nos armées à même de « faire la loi à l’ennemi, » pour me servir de l’expression de Clausewitz, c’est-à-dire de ne se battre que quand il leur plaît. Dès avant la lutte ils ont, de cette façon, remporté la victoire, car l’ennemi marche à tâtons, tandis que nos chefs voient clair. Quand un aveugle lutte avec un homme qui n’a pas perdu le sens de la vue, celui-là forcément succombe, quelque fort qu’il puisse être. Ulysse, en crevant l’œil du Cyclope, le mit hors d’état de nuire[2]. »

Ainsi, après la grande lutte du début, la cavalerie doit encore éclairer, non plus une armée immobile, concentrée, et dont elle est relativement indépendante ; mais des armées en marche, organisées en colonnes de route, et avec lesquelles elle doit rester constamment en liaison. Entre ses deux grands rôles en avant du front de concentration et sur les champs de bataille, c’est une mission intermédiaire, mais non sans difficulté ni grandeur.

Le moment, en effet, est critique. L’horizon s’est éclairci ; les objectifs commencent à s’y profiler nettement. Il faut y marcher droit et vite. Or cette zone encore reste obscure. Les masses de cavalerie adverse, échappées à la première lutte, la sillonnent, accompagnées d’une nombreuse artillerie légère, dont les feux peuvent de loin jeter la surprise et le trouble dans les colonnes. Il faut largement, en avant et sur les flancs, ouvrir et éclairer la route.

Déjà les reconnaissances sont parties, criblant de coups de sonde les directions suspectes. Plus près, les patrouilles ont développé

  1. « Le général von Rheinbaben franchira la Moselle, gagnera les plateaux entre ce fleuve et la Meuse, se portera au nord vers la route de Metz-Verdun, afin d’éclaircir au plus vite la situation, afin de savoir si l’ennemi quitte Metz par cette route. Si la division de cavalerie de la première armée procède d’une façon analogue en aval de Metz, comme on doit le supposer, l’armée française sera, dans trois ou quatre jours, coupée de toutes communications avec la France. » — (Ordre du prince Frédéric-Charles à la Ire division de cavalerie, le 12 août 1870.)
  2. Prince de Hohenlohe, Lettres sur la cavalerie.