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principautés germaniques dont les troupes faisaient partie de l’armée qu’il commandait, la restitution des objets d’art ayant autrefois appartenu à ces divers pays : « D’ailleurs, ajoutait-il, les souverains d’autres états auront aussi des répétitions à exercer ; nous ne pouvons nous arroger le droit d’y renoncer pour eux. »

Le mot « Musée »une fois supprimé de l’article relatif aux propriétés publiques dont l’intégrité devait être sauvegardée, les revendications ne tardèrent pas de tous côtés à se produire. Tandis que Blücher, qui avait installé deux bataillons dans les cours et dans les galeries du Musée, faisait enlever militairement les tableaux destinés à la Prusse, le ministre des Pays-Bas adressait à lord Castlereagh une note que celui-ci, au nom des ministres des puissances alliées, transmettait au prince de Talleyrand avec prière d’y faire droit. Bientôt des commissaires nommés ad hoc par les gouvernemens étrangers, le sculpteur italien Canova entre autres arrivaient à Paris pour exercer les « répétitions » prédites par le duc de Wellington, et le directeur des Musées, Denon, qui s’était énergiquement efforcé d’arrêter ce débordement de réclamations et de violences, se voyait obligé de donner sa démission faute de l’appui qu’il avait espéré trouver dans les conseils, sinon dans la volonté personnelle du roi.

Il est juste de le reconnaître toutefois, le gouvernement-français s’était, au début, prononcé dans un sens tout contraire aux prétentions des alliés. Aux objections tirées de la convention du 3 juillet, aux termes de laquelle le Musée se trouvait excepté des mesures générales de préservation, M. de Talleyrand répondait alors que le gouvernement provisoire n’avait pu engager la royauté ; que si les agens de ce gouvernement avaient cru devoir consentir à l’abandon d’objets d’art dont la possession avait été garantie à la France par le traité de paix de 1814, « le roi, plus soucieux de la dignité de sa couronne et des intérêts du royaume, ne pouvait pas ratifier ce sacrifice ; qu’en un mot, le roi ne donnerait pas d’ordres pour qu’il s’accomplit en son nom. » Les ordres ne furent point donnés, en effet, mais ce fut tout ; pour le reste, on prit le parti de laisser faire, si bien qu’au bout de quelques jours le même Talleyrand déclarait lestement qu’il n’avait plus à s’occuper de « ces questions de tableaux à garder ou à rendre, » et que tout cela, en réalité, « n’était pas une affaire[1]. »

  1. M. de Talleyrand, à cette occasion, ne manqua pas, suivant sa coutume, de se dédommager de sa défection par des sarcasmes et par un dédain affecté pour ceux-là mêmes dont il était devenu l’allié ou le complaisant. Canova, chargé de reprendre les objets d’art qui avaient appartenu à l’Italie, était arrivé en France avec le titre d’ambassadeur, et c’est comme tel qu’il s’était fait annoncer à l’une des réceptions de M. de Talleyrand : « Ambassadeur ! murmura celui-ci à l’oreille d’un de ses voisins en comptant bien que le mot serait répété, c’est sans doute M. l’emballeur qu’on a voulu dire. »