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impérieuses, sa promptitude de décision, sa rigueur pour maintenir sa volonté, autant de qualités que le vieux Beethoven a léguées à son petit-fils. Ajoutons-y ce sentiment farouche du devoir qui a toujours rendu Beethoven si sévère pour les moindres infractions à la morale naturelle. On sait qu’il s’est fâché avec un de ses amis parce qu’il le soupçonnait d’aimer une femme mariée : la plupart de ses brouilles ont été motivées par des raisons analogues, où son intérêt personnel n’avait aucune part.

A sa mère, Beethoven a été redevable de ce qui a fait son génie, et que le sang flamand ne pouvait lui donner : l’intense émotion, le sentiment musical. La pauvre Marie-Madeleine, avec son teint pâle et ses cheveux blonds, n’a pas été en vain une femme « souffrante et sensible, » comme la définit une personne qui l’a connue. Par elle est venue à son fils une faculté d’éprouver les émotions, de voir le monde sous un aspect sentimental et passionné. Avec sa haute raison et tout son bon sens, Beethoven n’a jamais cessé d’être fortement ému. Jamais il n’a pu rester indifférent à quoi que ce soit : l’univers se divisait pour lui en choses qu’il adorait et en choses qu’il exécrait. Les témoins de sa vie ne l’ont jamais connu « sans un violent amour au cœur. » C’est à l’union exceptionnelle de cette profonde sensibilité allemande et de la justesse de l’esprit flamand que Beethoven a dû de pouvoir traduire avec une précision extraordinaire les sentimens les plus intimes et les plus pathétiques.

Enfin, si les qualités que lui avaient transmises son grand-père et sa mère se sont trouvées, chez Beethoven, poussées hors des limites ordinaires, et ainsi promues à un degré génial, peut-être la cause en a-t-elle été à l’élément de folio, tout au moins de maladie intellectuelle, que représente, dans la série des ascendans, la grand’mère, Maria-Josepha Poll ? Peut-être a-t-il fallu ce germe morbide pour donner au compositeur son extrême nervosité, le côté excentrique et singulier de sa nature ? Certes, jamais un artiste n’a été moins fou, ou si l’on veut moins malade, que Beethoven : son œuvre est l’expression dernière de la santé morale. Mais c’est la santé d’un être différent de nous, puisant sa joie et sa douleur à des sources trop profondes, et qui nous sont inconnues.

Les vices du caractère de Beethoven proviennent-ils de la même influence ? Doit-il à sa grand’mère son humeur changeante, ses subits accès de passion, ses alternatives inexplicables de folle gaité et de découragement, maints autres défauts pareils qui ont souvent contribué à aigrir sa vie ? Mais il est temps d’en finir avec les hypothèses, et de voir à l’épreuve des faits de l’existence l’âme d’artiste ainsi constituée.