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superficielle, moins approfondie et moins sûre, et, si la querelle entre les théoriciens de la ligne et les théoriciens de la couleur passe à l’état de souvenir, l’émulation féconde qui en était le résultat fait trop souvent place à une indifférence visible et toute disposée à se contenter d’à-peu-près dans les formes comme d’à-peu-près dans la peinture. On a donc laissé perdre en chemin quelques-unes des qualités traditionnelles qui ont fait tour à tour la force de l’école classique et de l’école romantique : l’approfondissement des sujets, l’ordonnance longuement réfléchie, la plénitude dans la composition, l’intensité dans l’expression. On en a aussi gagné quelques-unes : la liberté absolue de l’imagination et de l’observation, une intelligence plus rapide et plus vive des réalités immédiates, un respect grave et sympathique pour toutes les manifestations, physiques et morales, de l’être humain à tous ses degrés de conscience et de culture. C’est cet amour puissant, général, indestructible de la sincérité chez nos peintres, c’est cette honnêteté consciencieuse de l’étude et du travail, transmise, comme un héritage inaliénable, par David, Prud’hon, Gros, Géricault, Ingres, Th. Rousseau et leurs successeurs, qui, joints à la persistance d’un enseignement scolaire solidement organisé, frappent et surprennent les étrangers et les obligent à reconnaître encore, malgré notre affaiblissement sur certains points, la supériorité dans son ensemble de la section française.

Il serait oiseux de revenir, en détail, sur des œuvres dont la Revue a rendu compte lors de leur première apparition. Nous avons seulement à constater que le nombre et le groupement de ces ouvrages permettent d’établir, beaucoup mieux qu’au Salon, la valeur absolue et relative des capitaines, vieux ou jeunes, qui se partagent aujourd’hui la direction de l’art national. Il est tel qui gagne singulièrement à présenter ses œuvres en masse, il est tel autre, au contraire, dont la personnalité s’atténue et s’efface par la monotonie ou la médiocrité multipliée de ses productions. Parmi les survivans de la période romantique MM. Jules Dupré, Français, Meissonier, tiennent encore la tête avec une autorité qui ne se ressent point du nombre des années. M. Meissonier, en particulier, résiste à la fois au double courant d’alanguissement décoratif ou de niaiserie naturaliste qui menace d’emporter les habitudes de travail et de réflexion, avec une énergie obstinée. La précision, physiologique et psychologique, avec laquelle il construit et fait mouvoir ses figures ou figurines, les plaçant toujours, avec une incomparable justesse, dans la vérité de leur milieu, avec leur vérité d’attitude, de geste, de physionomie, assure à toutes ses œuvres actuelles, comme à toutes ses œuvres passées, une valeur