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nous venons de parler abordent les sujets familiers ! Quand MM. Roll et Lhermitte, s’efforçant de reprendre l’œuvre de Géricault, avec une franchise et une virilité auxquelles s’ajoute peu à peu la science nécessaire, donnent à leurs travailleurs des proportions épiques, ne justifient-ils pas souvent leurs ambitions par l’ampleur sérieuse et forte avec laquelle ils ont su les voir ?

La peinture historique est en train de se modifier par l’introduction des mêmes élémens. La vérité ethnographique, le caractère individuel, le paysage, tendent à y jouer un rôle de plus en plus important. Il n’y a donc pas, à l’heure actuelle, entre les peintres de la vie contemporaine et réelle, et les peintres de la vie antérieure ou idéale de l’humanité, cette scission que des esprits superficiels y voudraient constater, mais, au contraire, une tendance très marquée à un rapprochement fécond, par la mise en commun des études positives et des saines aspirations. Qu’on étudie toutes les œuvres de M. J. -P. Laurens, qu’on regarde attentivement les peintures sérieuses et savantes de MM. Olivier Merson, Wencker, Morot, qu’on se rappelle les travaux de MM. François Flameng, Lerolle, Benjamin Constant pour la Sorbonne, ceux de M. Cormon au musée du Luxembourg, on constatera que partout l’étude scrupuleuse de la réalité vivante appliquée à l’intelligence des documens historiques est l’élément qui domine, anime, vivifie. Prétendre que, sous prétexte de vérité, l’artiste doit se confiner dans la copie indifférente du milieu contemporain et qu’il n’en peut sortir sans cesser d’être artiste, n’est donc qu’un paradoxe, à peine séduisant par sa simplicité pour des esprits étroits ou blasés, mais qu’il est impossible de soutenir dans une société depuis longtemps cultivée comme la nôtre. Ce n’est pas dans un temps où le développement de la culture littéraire, l’échange rapide des communications entre les différentes races, la facilité inconcevable des voyages, excitent, remplissent, affinent de toutes façons l’imagination qu’il serait possible de l’arrêter net et de lui dire : « Tu es inutile ! »

La meilleure preuve, en fait, de l’inanité de ces théories, c’est que, dans la plus récente période, chez les artistes qu’on nous présente comme leurs défenseurs, chez les rêveurs un peu languissans aux surnoms barbares, les pleinairistes, les impressionnistes, les luminaristes, qu’on peut comparer, par certains côtés, aux décadens de la littérature, les qualités réelles qu’on y peut admirer, sont des qualités d’indépendance personnelle et poétique vis-à-vis de la nature, qui ne ressemblent en rien à, du réalisme. La plupart, de près ou de loin, procèdent de Corot et de Puvis de Chavannes, et ne se gênent pas plus qu’eux avec la réalité. Vouloir nous faire voir des travaux réalistes, par exemple, dans les fantaisies délicates, d’un