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Polignac, elle blâmait hautement les principes exposés par Maury, l’abbé se serait écrié, en désignant du doigt les causeuses : « Monsieur le président, faites taire ces deux sans-culottes ! » La peur, elle l’avoue dans une de ses lettres au duc, la décida à émigrer en Angleterre ; le 22 juin 1791, le jour où l’on apprit à Paris la fuite de Varennes, la curiosité l’attira au Carrousel, avec un de ses amis, M. de Fontenilles ; sans doute son grand air la désigna aux soupçons de la foule : menacée, maltraitée peut-être, elle fut conduite au château des Tuileries, gardée prisonnière de onze heures à quatre dans le cabinet du roi, jusqu’à ce que M. de Biron vint de l’assemblée pour les délivrer, elle et son compagnon. Un fragment de lettre du prince de Ligne nous apprend le genre d’insulte qu’elle craignit de subir.


Remettez-vous ici de ces outrages
Qui pourtant ne menaçaient pas
Votre tête, dit-on, mais de secrets appas,
Que des gens curieux, prétextant la vengeance,
Voulaient voir et montrer, pour l’honneur de la France.


Recherchée, admirée par l’aristocratie anglaise autant qu’elle l’était dans les salons de Paris, fêtée par le prince de Galles qui lui avait voué une amitié enthousiaste (au moment où il devint régent d’Angleterre, il lui avait adressé un joli chapeau à la régence), Mme de Coigny regrette sa peur et ne peut détacher sa pensée de l’absent. « Comment, écrit-elle, comment l’idée d’un danger possible m’a-t-elle fait renoncer à tant de biens certains ? Je crois sincèrement que la fatalité s’en est mêlée et m’a fait une prudence de circonstance, comme une destinée d’occasion. D’honneur, d’honneur, je ne sais que faire, et je crois que, ni plus ni moins que le roi, je vais jouer mon avenir à tête ou couronne. » Malgré ses angoisses, elle a toujours un bon mot tout prêt, au service de ses amis, au détriment des indifférens et des ennemis : « Est-il vrai, demande lady Jersey, que vous vous soyez permis de soutenir que j’étais une sotte ? — Madame, répond-elle, il est vrai que je l’ai entendu dire ; mais je ne l’ai point répété. » Ayant appris que la populace parisienne avait brûlé le buste de son ancien favori, d’Espréménil, elle observe ironiquement : « Il n’y a rien qui brûle sitôt que les lauriers secs. » Elle écrit à Rivarol après sa brochure contre le marquis de Limon : « De mémoire d’émigrée, je ne me rappelle point avoir ri d’aussi bon cœur et d’aussi bon goût : c’est plus fin que le comique, plus gai que le bouffon, et plus drôle que le burlesque. » Triste ou gaie, émigrée ou non, avant et après 1789, elle emporte son esprit avec elle, et l’emploie en toute occasion, tantôt comme