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physionomie intelligente. Peut-être aurait-il été joli garçon si des traces de petite vérole n’avaient grêlé sa figure. Un accent gascon assaisonnait ses paroles, et nous voyons, par l’orthographe de ses lettres, que non-seulement il n’avait aucune éducation littéraire, mais encore que son parler était celui de la classe populaire. Néanmoins actif, habile dans son métier, bien vu de ses chefs, il était en passe de se faire une situation honorable et d’arriver à soutenir sa mère, qui vivait à Montagnac abandonnée, ayant réuni sur lui toute son affection et toutes ses espérances.

Mais Paris agit sur l’esprit du jeune homme d’une manière funeste. La vue de la vie brillante et luxueuse, les robes de soie et de dentelles le faisaient rêver. Il trouvait les Parisiennes charmantes. Il leur donnait de son cœur sans compter, et de sa bourse sans compter aussi. Le cœur était riche ; la bourse l’était moins. Danry eut bientôt dépensé tout ce qu’il avait et tomba dans la misère. Il fit de mauvaises connaissances. Son meilleur ami, un nommé Binguet, garçon apothicaire, partage avec lui un taudis, cul-de-sac du Coq, chez Charmeleux, qui tient chambres garnies. On ne trouverait pas plus grands coureurs de filles, libertins et mauvais sujets que nos deux amis. Danry, colère, fanfaron et batailleur, s’est rapidement fait connaître de tout le quartier. Mourant de faim, menacé d’être jeté à la porte du logement dont il ne paie pas les termes, il écrit à sa mère pour demander quelque argent ; mais c’est, à peine si la pauvre fille a de quoi se suffire à elle-même.

Nous voilà loin, comme on le voit, du bel officier de génie que chacun a dans son souvenir, loin aussi du brillant tableau que Danry traça plus tard de ces années de jeunesse pendant lesquelles il reçut, « par les soins du marquis de La Tude, son père, l’éducation d’un gentilhomme destiné à servir sa patrie et son roi. »

Dénué de toute ressource, Danry imagina qu’au siège de Berg-op-Zoom des soldats l’avaient dépouillé tout nu, hors la simple chemise, et volé de 678 livres. Il fabriqua une lettre à l’adresse de Moreau de Séchelles, intendant des armées de Flandres, espérant la faire signer par ce Guignard de La Garde, commissaire des guerres, sous lequel il avait servi. Danry demandait à être indemnisé de ces pertes qu’il avait faites tandis qu’il s’exposait, sous le feu de l’ennemi, à soigner des blessés. Nous lisons, malheureusement, dans les Mémoires écrits plus tard par Danry, que, loin d’avoir été, à Berg-op-Zoom, « dépouillé tout nu et volé de 678 livres, » il y acheta une quantité considérable d’effets de tout genre qui se vendirent à bas prix au pillage de la ville. Quoi