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Tude ignominieusement dehors. » Celui-ci sortit avec calme, et le jour même attaqua l’huissier devant le tribunal du Châtelet « pour avoir une réparation aussi authentique que la diffamation avait été publique. »

L’année suivante (1789), Latude fit un voyage en Angleterre. Il avait entrepris de poursuivre devant les tribunaux Sartines. Lenoir et les héritiers de Mme de Pompadour, afin d’en obtenir les indemnités qui lui étaient dues. En Angleterre, Latude rédigea un Mémoire pour Sartines, dans lequel il fait connaître à l’ancien lieutenant de police les conditions auxquelles il se désisterait de ses poursuites. « M. de Sartines, voulez-vous me donner, en forme de réparation de tous les maux, dommages, que vous m’avez fait souffrir injustement, la somme de 900,000 livres : M. Lenoir, (500,000 livres, et les héritiers de feu la marquise de Pompadour et du marquis de Menars 100,000 écus, ces trois sommes ensemble font 1,800,000 livres ; » c’est-à-dire 4 millions d’aujourd’hui.

La révolution éclata. Si l’époque de Louis XVI, tendre et compatissante, avait été favorable à notre homme, la révolution semble avoir été faite pour lui. Le peuple se souleva contre le despotisme royal ; les tours de la Bastille furent renversées. Latude, victime des rois, victime de la Bastille et des ordres arbitraires, allait apparaître dans tout son éclat.

Il s’empresse de jeter aux orties sa perruque poudrée et son habit de vicomte ; écoutez le révolutionnaire farouche, intègre, indomptable, absolu : « Français ! j’ai acquis le droit de vous dire la vérité ; et, si vous êtes libres, vous devez aimer à l’entendre.

« Je méditais depuis trente-cinq ans, dans les cachots, sur l’audace et l’insolence des despotes ; j’appelais à grands cris la vengeance lorsque la France, indignée, s’est levée tout entière, par un mouvement sublime, et a écrasé le despotisme. Pour qu’une nation soit libre, il faut qu’elle veuille le devenir, et vous l’avez prouvé. Mais pour conserver la liberté, il faut s’en rendre digne ; et voilà ce qu’il vous reste à faire ! »

Au Salon de peinture de 1789, on vit deux portraits de Latude et la fameuse échelle de cordes. Au bas de l’un de ces portraits, par Vestris, membre de l’Académie royale, on avait gravé ces vers :


Instruit par ses malheurs et sa captivité.
A vaincre des tyrans les efforts et la rage
Il apprit aux Français comment le vrai courage
Peut conquérir la liberté.


Dès l’année 1787 le marquis de Beaupoil-Saint-Aulaire avait écrit, sous l’inspiration du héros, l’histoire de sa captivité. Il parut