Page:Revue des Deux Mondes - 1889 - tome 95.djvu/699

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’art ; c’est que, pour les appliquer, l’homme doit s’ajouter à la nature. Lois non écrites et dépourvues de sanction apparente, elles doivent être suivies par chacun en interrogeant une conscience mise en présence de Dieu. User d’un homme ! et user d’une machine seront des choses éternellement différentes aux yeux de la morale ; il n’est point de lois fatales, naturelles, ou, à plus forte raison, économiques, qui puissent autoriser celui qui emploie à ne pas remplir son devoir envers celui qu’il emploie. L’économie sociale ne serait qu’une statistique raisonnée, si elle ne s’appuyait point sur ces principes. Pour nous, en fondant le travail affranchi sur le spiritualisme, en réclamant la part de la conscience et de la pitié dans la lutte des intérêts matériels, nous ne faisons que suivre la plus ancienne et la plus haute des traditions lyonnaises. Arrivés au point dangereux de civilisation où nous sommes, avec toutes nos richesses, nos sciences, nos lois humaines et justes dans leur généralité, nos libertés entières, il n’y a point à regretter le passé ou à se jeter au-devant d’un avenir chimérique. Il ne reste plus une révolution à faire, si ce n’est la révolution morale, qui peut seule faire lever de nouveau sur nous l’immense et splendide aurore de justice, d’humanité et de paix que nos pères ont entrevue en 1789. »

Un collège électoral, pris d’un accès de bon sens, envoie à la nouvelle chambre l’homme qui a écrit cette page. Souhaitons qu’il ait souvent l’occasion de la commenter et qu’il la fasse pénétrer dans l’esprit de ses collègues. Si la plupart d’entre eux raisonnent de même, s’ils comprennent qu’à l’heure présente le catéchisme du bon député tient dans ces deux points : en s’éveillant, penser à ce qu’on voit à l’Exposition de la guerre ; en s’endormant, penser à ce qu’on voit à « la Paix sociale,  » — nos nouveaux mandataires l’apprendront à beaucoup d’entre nous une habitude un peu négligée, celle de chérir les représentans de la nation ; ils feront oublier à beaucoup une autre habitude, celle de souhaiter male mort à la république ; ils lui gagneront tous les hommes de bonne volonté, pour peu qu’ils sachent les prendre par la raison et par le cœur. S’il en devait être autrement, ou pourrait prédire sans être prophète que les élus d’hier risquent d’emporter avec eux la graine de l’espèce ; le peuple les qualifierait comme leurs aînés, il interpréterait à sa façon l’énergique parole du Livre des proverbes sur les hommes qui se remplissent le ventre avec le fruit de leur bouche. — De fructu oris viri replebitur venter ejus.


EUGENE-MELCHIOR DE VOGUE.