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Shelley, car je crois que je saurais m’en servir. » Sir John Lubbeck se charge bien d’enseigner le meilleur usage qu’on peut faire de sa fortune, mais il ne se charge pas de faire descentes à tous ses lecteurs ?

Les conseils contenus, dans les doux jolis petits volumes peuvent se résumer ainsi : « Je ne vous dis pas de faire comme moi ; mais comme moi, ayez un intérieur agréable, un home qui vous plaise, et des amis aussi sûrs, aussi fidèles que charmans et distingués. Variez votre existence, et à cet effet, ayez tous les goûts, l’amour de la vie casanière et l’amour des voyages, l’amour du repos et l’amour du travail, la passion de la lecture, de la science, de la poésie, de la peinture, de la musique. Tachez d’acquérir des talens ; rien ne remplit plus agréablement les heures. Portez-vous bien, c’est le secret de la belle humeur. Evitez tous les excès ; sobriété et confort, telle doit être votre devis. Ne fournissez aucun prétexte au malheur ; pour peu que vous lui fassiez un signe, il entrera chez vous. Occupez-vous beaucoup de vos affaires, ayez grand soin de votre personne, et ne craignez pas qu’on vous traite d’égoïste. On dit beaucoup de mal de l’égoïsme, il a pourtant du bon. Après tout, le bonheur général n’étant que la somme des bonheurs particuliers, rendez-vous résolument heureux, et vous travaillerez ainsi à la félicité de l’univers. Méditez le proverbe chinois, et balayez la neige devant votre porte, sans trop penser au givre qui couvre les tuiles de votre voisin. Il y a des gens qui semblent trouver un secret plaisir à envenimer leurs peines, à gâter leurs joies par des réflexions moroses. Ne vous créez jamais des chagrins artificiels et factices, et réduisez vos soucis au strict nécessaire. N’imitez pas ce fameux Chevalier Blanc qui s’embarrassait en voyage de mille paquets inutiles, d’une souricière dans la crainte que les souris ne troublassent une nuit son sommeil, et d’une ruche pour le cas où il viendrait à rencontrer un essaim d’abeilles.

« N’imitez pas non plus cette Harpaste dont parle Sénèque, laquelle, ayant perdu la vue, s’obstinait à soutenir que la maison était devenue subitement sombre. Soyez gai, et la grande maison de ce monde vous paraîtra toujours claire, et vous bénirez le soleil qui l’illumine, et la réchauffe. Que s’il vous survient quelque fâcheuse disgrâce, mettez-vous en route, allez contempler le Mont-Rose ou admirez la haie de Naples, et au retour, lisez un dialogue de Platon, le Discours de Descartes sur la méthode, la Foire aux vanités, Darwin, l’Economie politique de Stuart Mill, les Essais d’Addison, les Voyages de Cook ou Robinson Crusoé, et vous verrez que la vie est bonne. Je vous attends à deux ans d’ici, vous m’en direz des nouvelles. » Et là-dessus, après avoir cité quelque admirable parole d’Epictète ou de Marc-Aurèle sur la résignation, sur le renoncement, sur la paix d’une âme maîtresse de ses désirs et servante très humble de la volonté divine, le moraliste