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Page:Revue des Deux Mondes - 1889 - tome 95.djvu/72

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qui, de ce qu’un ressort dévié fonctionne mal là où ils sont, en concluent qu’il en va de même là où ils ne sont pas, prenant un phénomène accidentel et passager, résultat de circonstances adventices, pour un universel détraquement.

Ainsi en est-il advenu chez tous les peuples, en tous les temps, en ceux surtout où la difficulté des communications et de l’échange des idées, décuplant la distance qui les séparait, limitait étroitement l’horizon de chacun d’eux. L’homme a une invincible tendance à généraliser ; il lui répugne de croire à l’abondance ailleurs quand la famine l’étreint, à la paix et à la prospérité au-delà de ses frontières quand au dedans la guerre le décime, à admettre que sa ruine personnelle reste sans écho à quelques pas de lui, que le revers qui l’atteint épargne son voisin, ou que les autres souffrent quand tout lui réussit. Le même doute lui vient au sujet des institutions sociales, ici favorisées, là contrariées par le milieu dans lequel elles fonctionnent, par l’évolution politique, morale ou religieuse, par les tendances, les mœurs et les lois, mobiles alors qu’elles-mêmes restent immuables, que tout incessamment se renouvelle autour d’elles qui ne se renouvellent pas.

Mais où l’étonnement redouble, où la confusion s’accroît, c’est quand après avoir dispendieusement édifié une machine compliquée, savamment agencé une organisation sociale, on est obligé de reconnaître, expérience faite, que le résultat obtenu est diamétralement opposé à celui que l’on attendait et qu’un rouage faussé, déterminant un mouvement rétrograde, la fait reculer au lieu d’avancer. C’est l’impression qui se fait jour en ce moment aux États-Unis en ce qui concerne l’institution du mariage, cette base fondamentale des sociétés modernes. Préoccupés avant tout d’asseoir sur la plus haute autorité religieuse et morale que le monde ait connue l’union de l’homme et de la femme, les législateurs ont dû admettre que l’imperfection de la nature humaine ne comportait pas de lois absolues, de liens indissolubles. Le divorce s’imposait à eux en tant que contrepoids nécessaire en des cas exceptionnels soigneusement prévus, minutieusement déterminés ; mais ce tempérament admis est devenu sinon la règle, à tout le moins une exception qui s’étend. Aujourd’hui le mal est indéniable ; il grandit et, pour avoir tardé à se manifester, ne se manifeste qu’avec plus d’intensité.

Chaque année le nombre des divorces augmente ; dans les vingt dernières, les tribunaux en ont octroyé 328,710[1] ; les demandes affluent et la presse, en signalant ces faits à l’attention publique, signale en même temps les dangers d’une législation défectueuse,

  1. Report of colonel Wright to the Senate, 20 février 1889.