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pudeur est affaire de latitude et de longitude » et que le romancier américain « se débat, paralysé, dans les liens d’une fausse pruderie, » la plupart, avec G. Parsons, L. Warner, estiment que « tout ce à quoi l’écrivain peut prétendre, c’est de n’être pas astreint à n’écrire que pour les jeunes filles, et de ne pas les admettre comme juges sans appel de la valeur d’une œuvre littéraire. »

Les femmes auteurs vont plus loin dans leurs affirmations. « De la jeune fille ou de l’écrivain, l’un des deux doit être sacrifié, semble-t-il, écrit Mrs Franklin Atherton. Si l’auteur dépeint le monde tel qu’il le voit, on lui reproche de corrompre l’innocence ; s’il le représente tel qu’on le veut, il s’agite dans le faux. Certes, la jeune fille n’est pas, surtout en Amérique, une quantité négligeable ; mais c’est l’affaire de sa mère et non de l’écrivain de l’éclairer. Un auteur doit à ses lecteurs la vérité, toute la vérité ; à lui de la dire avec art et sans outrager la morale. » — « Que l’on nous débarrasse donc, une bonne fois, de la jeune fille, écrit brutalement Julian Hawthorne, ou bien qu’elle se résigne à entendre et à comprendre la vérité. Ses soi-disant champions affirment que c’est la condamner à ne plus nous lire. J’ai dans l’idée qu’elle nous lira quand même et ne s’en trouvera pas plus mal. »

À défaut des écrivains, doit-on accuser les lois et une coupable tolérance ? Mais ni les mœurs ni les lois n’ont d’indulgence pour les séducteurs. Nous avons montré ailleurs[1] qu’entre une famille irritée et les tribunaux toujours prêts à lui infliger d’écrasantes amendes, la profession de don Juan n’était pas tenable aux États-Unis. Puis l’Américaine est femme pratique, et l’imagination exaltée est rarement son fait. Ce n’est donc ni à sa faiblesse, ni à l’audace de l’homme, ni aux excès de la littérature, ni à la presse ni au théâtre qu’il faut s’en prendre ; ces causes diverses qui, ailleurs, ont plus ou moins contribué à affaiblir le respect du lien conjugal, n’ont ici aucune influence. Est-ce à la défaillance du sentiment religieux ? Mais, nulle part plus vivace qu’aux États-Unis, il a soutenu, sans faiblir, le choc des idées modernes ; l’indifférence n’y est pas de mise, non plus que l’athéisme n’y est de mode ; l’universelle tolérance n’y a pas engendré l’universel scepticisme. Le catholicisme y est ardent, grâce à l’appoint considérable des Irlandais, et le protestantisme y joue un rôle important dans tous les actes de la vie privée et de la vie nationale. Le mal n’est pas là ; il est ailleurs.

Il est dans la multiplicité des lois relatives au mariage et au divorce. Chaque état a les siennes. Chaque état, en tant que souverain, a légiféré sur la matière et, bien que partant des mêmes

  1. Voir, dans la Revue du 15 mai, la Femme aux États-Unis.